La nomination de Faure Essozimna Gnassingbé comme médiateur de l’Union africaine dans la crise à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) a surpris plus d’un. Si d’autres chefs d’État africains, parfois plus influents ou plus visibles sur la scène internationale, se sont heurtés à la complexité de ce conflit prolongé, l’Union africaine fait aujourd’hui le pari d’un leadership discret mais efficace. Cette décision interpelle et soulève une question cruciale : le président togolais a-t-il les cartes en main pour faire avancer un processus de paix enlisé depuis plusieurs années ?
L’espoir placé en Lomé n’est pas dénué de sens. Le Togo, sous l’impulsion de Faure Gnassingbé, s’est bâti une réputation de pays neutre et stable, capable de parler à tous les camps sans attirer la suspicion. En désignant un président dont le pays n’a pas de lien direct avec le conflit, l’Union africaine pourrait offrir un souffle nouveau à une médiation piégée entre rivalités régionales, intérêts économiques occultes et une histoire coloniale encore pesante. Mais le succès de cette mission dépendra aussi de la capacité du président togolais à faire valoir un style de médiation à la fois pragmatique, silencieux et patient.
La diplomatie togolaise : un levier sous-estimé
Depuis plus d’une décennie, le Togo cultive une posture de « petit pays aux grandes ambitions diplomatiques ». Sous la présidence de Faure Gnassingbé, Lomé est devenu un centre discret mais fréquenté de négociations africaines, qu’il s’agisse de sécurité maritime dans le golfe de Guinée, de réconciliations politiques ou d’accords économiques régionaux. Cette constance dans la neutralité et la capacité à accueillir toutes les parties, sans agenda caché, a forgé la crédibilité du Togo comme médiateur possible dans les conflits les plus sensibles.
Contrairement à d’autres puissances africaines, souvent impliquées militairement ou économiquement dans les conflits de la région des Grands Lacs, le Togo peut se targuer de n’avoir ni troupes ni intérêts directs à l’Est de la RDC. Cette absence d’ingérence est un atout dans un processus où chaque mot et chaque position sont scrutés à la loupe. Le président togolais peut donc jouer la carte de la sincérité diplomatique et faciliter des dialogues difficiles, sans que l’on soupçonne une arrière-pensée géostratégique.
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Un leadership discret mais tenace
L’approche de Faure Gnassingbé en matière diplomatique repose sur un mélange de discrétion, de patience et de capacité d’écoute, souvent loin des projecteurs médiatiques. Ce style contraste avec celui d’autres médiateurs africains, parfois jugés trop visibles ou partiaux. En RDC, où la méfiance est exacerbée entre les différents protagonistes gouvernement congolais, groupes armés, Rwanda, Ouganda, partenaires internationaux, un médiateur silencieux mais constant peut représenter un point d’équilibre crédible.
Le Togo a par ailleurs l’avantage d’avoir bâti, au fil des années, des canaux informels mais efficaces avec des acteurs-clés de la région. Le rôle que Lomé joue dans certaines opérations régionales de sécurité, ses relations équilibrées avec les pays de la SADC comme ceux de la CEEAC, ou encore la confiance de certains partenaires internationaux comme les États-Unis ou la France, pourraient aider à crédibiliser cette mission. Le leadership de Faure Gnassingbé s’inscrit donc dans une logique d’influence douce, mais construite méthodiquement.
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Enfin, sa nomination intervient à un moment stratégique où les grandes puissances africaines sont engluées dans leurs propres défis internes. Le Kenya est politiquement affaibli, l’Afrique du Sud reste prudente, l’Angola s’essouffle dans son rôle de facilitateur. Dans ce vide relatif, le président togolais pourrait incarner une nouvelle voie pour une médiation africaine recentrée sur l’écoute et la solution, plutôt que sur le prestige. La médiation de Faure Gnassingbé dans la crise à l’Est de la RDC pourrait bien marquer un tournant dans la diplomatie africaine. À travers une posture neutre, une diplomatie de l’ombre assumée et une méthode patiente, le président togolais dispose de plusieurs cartes maîtresses. Son succès dépendra de sa capacité à capitaliser sur cette réputation, tout en parvenant à convaincre des acteurs fatigués par les promesses non tenues et les impasses diplomatiques. S’il réussit là où d’autres ont échoué, Faure Gnassingbé pourrait redonner à l’Union africaine un visage de médiatrice crédible et autonome et offrir au Togo une stature inédite sur l’échiquier continental.