Remplaçant João Lourenço, dont la médiation s’est essoufflée face à la complexité d’un conflit qui mêle enjeux sécuritaires, économiques et géopolitiques, le dirigeant togolais s’engage sur un terrain miné. La désignation du président togolais Faure Gnassingbé comme médiateur de l’Union africaine (UA) dans la crise de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) marque une inflexion notable dans la diplomatie continentale. Sa première visite à Kinshasa le 16 avril, quelques jours après avoir rencontré son prédécesseur à Luanda, s’apparente à une phase d’écoute, mais elle reflète aussi l’urgence de trouver une approche alternative, alors que le climat sécuritaire dans les Kivus reste explosif.
Ce déplacement inaugural, qualifié de « prise de contact », en dit long sur la méthode Faure Gnassingbé : sobre, discrète mais calculée. En évitant toute déclaration tapageuse, le président togolais semble vouloir incarner une médiation de l’ombre, patiente et stratégique, dans un dossier que l’Union africaine a souvent peiné à appréhender avec efficacité. Mais cette discrétion, si elle est un atout diplomatique, suffira-t-elle face à un conflit devenu un nœud d’intérêts multiples et concurrents ?
Une mission de Faure Gnassingbé dans un paysage diplomatique embouteillé
La tâche de Faure Gnassingbé ne s’annonce pas aisée. Il arrive dans un paysage où les médiateurs se bousculent : le Qatar, l’EAC, la SADC, et même certains partenaires occidentaux, tous veulent jouer un rôle dans la résolution du conflit. Doha a récemment marqué un point diplomatique en réunissant Félix Tshisekedi et Paul Kagame, tandis que la SADC a désigné pas moins de quatre co-facilitateurs. Cette prolifération des médiations pourrait renforcer la dynamique de paix… ou diluer les responsabilités.
Dans ce contexte, le président togolais devra se démarquer. Son pays, le Togo, n’est pas directement impliqué dans le conflit ni lié par des alliances régionales sensibles, ce qui pourrait faire de lui un arbitre crédible. Son expérience diplomatique discrète mais constante sur le continent notamment en matière de sécurité maritime dans le Golfe de Guinée renforce cette image. Mais encore faut-il qu’il puisse s’imposer dans les cercles où se joue réellement l’influence, entre Kigali, Kinshasa et les grands bailleurs internationaux.
Lire Aussi : Médiation RDC-Rwanda : Faure Gnassingbé entrera-t-il dans le jeu ?
L’opportunité de redéfinir le rôle de l’UA
Cette mission pourrait également être un test pour l’Union africaine elle-même. Critiquée pour son inefficacité dans les grands foyers de tension du continent, l’organisation panafricaine joue ici sa crédibilité. Si la médiation de Faure Gnassingbé parvient à faire avancer les lignes, ne serait-ce qu’en obtenant des cessez-le-feu locaux ou en ranimant les cadres de dialogue régionaux, ce serait un signal fort d’un réveil africain par l’Afrique.
Pour le Togo aussi, c’est une opportunité de rehausser sa stature diplomatique. Loin d’être une simple mission protocolaire, cette médiation pourrait repositionner Lomé comme un hub de stabilité et de dialogue, dans un contexte régional troublé. À condition toutefois que la démarche soit soutenue par une stratégie d’écoute inclusive, capable de conjuguer pression diplomatique et respect des sensibilités locales.
La visite de Faure Gnassingbé à Kinshasa ne doit pas être lue comme un simple geste symbolique. Elle inscrit une nouvelle dynamique dans un conflit longtemps confisqué par des intérêts opposés. Son profil bas pourrait paradoxalement être sa force : dans ce théâtre où trop de voix se sont élevées sans résultats, le silence et la méthode peuvent être de puissants leviers. Le succès ne se mesurera pas en déclarations médiatiques, mais en avancées concrètes. Et dans cette équation délicate, le président togolais joue désormais une partition à la fois périlleuse… et potentiellement historique.
Tony A.