Le président togolais Faure Gnassingbé pourrait-il devenir l’artisan d’un rapprochement entre Kinshasa et Kigali ? C’est l’option avancée le 5 avril 2025 par João Lourenço, président angolais et président en exercice de l’Union africaine, qui se retire après deux années de médiation entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda. Lourenço appelle à la continuité d’un dialogue complexe, sur fond de tensions militaires récurrentes dans l’Est congolais, alimentées par la présence du groupe armé M23, soutenu selon Kinshasa par Kigali.
L’annonce de la proposition de Faure Gnassingbé comme médiateur a immédiatement provoqué des réactions nuancées à Kinshasa. De la prudence diplomatique est observable dans la majorité et un scepticisme calculé dans l’opposition. Si certains saluent la continuité d’un processus diplomatique au sein de l’UA, d’autres dénoncent une cacophonie croissante entre diverses initiatives régionales et internationales, qui fragilise toute perspective de paix cohérente. Au-delà du nom du médiateur, c’est donc la lisibilité et l’efficacité de la démarche de l’Union africaine qui se trouvent aujourd’hui au cœur des interrogations.
Faure Gnassingbé, entre neutralité apparente et perception contestée
Le choix du président togolais Faure Gnassingbé suscite une série d’interrogations sur son profil et sa capacité à assumer une médiation aussi délicate. Officiellement, Kinshasa ne s’oppose pas à cette nomination. Lambert Mende, figure de l’Union sacrée, insiste sur l’importance du dialogue, tout en restant évasif sur la pertinence du choix : « Est-ce que Faure Gnassingbé est le bon ? Notre chef de l’État en jugera. » Derrière cette réserve polie se cache une réalité : le Togo de Faure est souvent perçu comme un régime autoritaire, dont la légitimité démocratique est contestée sur la scène internationale, ce qui pourrait fragiliser son autorité morale dans le rôle de médiateur.
Cependant, le Togo a jusqu’ici su préserver une certaine neutralité dans les conflits régionaux, en entretenant des relations cordiales à la fois avec Kigali et Kinshasa. Cette position pourrait être perçue comme un atout pour une médiation impartiale. Sans oublier les médiations réussies ses dernières années dans la sous région ouest africaine par le président togolais. Reste que l’efficacité d’un facilitateur ne se mesure pas uniquement à sa neutralité, mais aussi à sa capacité à imposer une dynamique diplomatique structurée, ce qui apparaît d’autant plus crucial dans un contexte où les canaux de négociation se multiplient et se concurrencent.
Un processus de paix fragmenté, au risque d’une diplomatie inefficace
La véritable problématique réside moins dans l’identité du médiateur que dans l’éclatement du processus de paix. En parallèle à l’initiative de l’UA, un autre dialogue est en cours à Doha, entre le gouvernement congolais et le M23, sous l’égide du Qatar. À cela s’ajoutent les tentatives de la Communauté de l’Afrique de l’Est, ainsi que les efforts de la CIRGL (Conférence internationale sur la région des Grands Lacs), créant une multiplicité d’initiatives souvent mal coordonnées, voire concurrentes.
Claudel-André Lubaya, opposant congolais, met le doigt sur cette confusion diplomatique : « Ces initiatives sont dispersées, parfois parallèles. Leur juxtaposition crée de la confusion. » Ce manque de coordination compromet la lisibilité du processus pour les acteurs locaux comme pour les partenaires internationaux. Il affaiblit aussi la position de Kinshasa, qui semble devoir répondre à plusieurs agendas simultanés, sans stratégie unifiée. Pour que Faure Gnassingbé réussisse là où d’autres ont peiné, il devra non seulement inspirer confiance, mais surtout imposer une méthode de travail coordonnée avec les autres acteurs impliqués.
La proposition de nommer Faure Gnassingbé comme médiateur dans la crise RDC-Rwanda illustre les limites d’un système diplomatique africain trop souvent éclaté et réactif. Plus qu’un enjeu de personne, c’est la cohérence des efforts de paix qu’il faut reconstruire. Sans coordination rigoureuse, les différentes médiations risquent de se neutraliser mutuellement, laissant le champ libre aux conflits armés sur le terrain. Si l’UA veut véritablement faire de cette médiation une réussite, elle devra rapidement trancher sur le leadership du processus, clarifier les rôles de chacun et bâtir un agenda diplomatique clair, cohérent et suivi. Dans ce contexte, la nomination de Faure Gnassingbé ne pourra être crédible que si elle s’inscrit dans une stratégie globale et concertée.
Tony A.