Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) est plongé dans une tempête politico-judiciaire à quelques mois de l’élection présidentielle de 2025. Le 2 avril, une procédure judiciaire portée par une militante du parti, Valérie Yapo, est venue ébranler la légitimité de son président, Tidjane Thiam, pourtant élu avec près de 96 % des voix lors du congrès de décembre 2023. Cette contestation intervient dans un contexte hautement stratégique, alors que l’ancien patron du Crédit Suisse s’apprête à briguer la magistrature suprême.
Apparemment l’affaire dépasse la simple querelle interne. Elle illustre les tensions sous-jacentes autour de la succession d’Henri Konan Bédié, mais surtout les enjeux de représentativité, d’identité et de légalité dans un parti historique en pleine recomposition. Le PDCI navigue désormais sur des eaux agitées entre mobilisations militantes, incertitudes juridiques et batailles symboliques.
Une bataille juridique à fort enjeu politique pour Tidjane Thiam
Au cœur du litige, la nationalité ivoirienne de Tidjane Thiam. L’article 48 du Code de la nationalité stipule qu’un Ivoirien perd sa nationalité s’il en acquiert une autre de manière volontaire. Thiam, qui détenait également la nationalité française, a récemment renoncé à cette dernière pour se conformer à la loi. Mais ses adversaires, à l’intérieur comme à l’extérieur du PDCI, estiment que cette démarche est insuffisante et juridiquement contestable.
L’assignation de Valérie Yapo pose ainsi une question centrale : Tidjane Thiam est-il encore légalement Ivoirien, donc éligible à la présidentielle ? L’argument n’est pas nouveau, mais son dépôt devant la justice ivoirienne le place désormais dans l’arène institutionnelle. La juge a reporté sa décision au 11 avril 2025, laissant planer une ombre d’incertitude sur la dynamique du parti et la stratégie de campagne de son président.
Le camp Thiam, lui, dénonce une instrumentalisation judiciaire. Des députés du PDCI ont manifesté devant le tribunal d’Abidjan, dénonçant des « artifices » visant à écarter leur leader. Le président du groupe parlementaire, Simon Doho, évoque un « combat pour la démocratie », rappelant que l’enjeu dépasse la seule personne de Thiam.
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Le PDCI entre transition interne et défi existentiel
Il faut souligner que cette affaire survient alors que le PDCI tente de se réinventer. Depuis la disparition de Bédié, le parti peine à trouver un nouvel élan. L’arrivée de Tidjane Thiam, technocrate à la stature internationale, devait symboliser le renouveau. Mais la contestation de sa légitimité, même interne, révèle des fractures profondes sur la ligne idéologique et les méthodes de gouvernance.
Le bureau politique prévu à Yamoussoukro ce samedi est décisif. Il doit fixer la date de la convention d’investiture du candidat du parti. Mais dans ce contexte de crispation, l’unité affichée du congrès de 2023 paraît déjà fragilisée. En coulisses, plusieurs figures historiques du parti s’interrogent sur la capacité de Thiam à rassembler durablement les forces vives du PDCI.
Au-delà du cas Thiam, ce feuilleton soulève une interrogation plus large : celle de la capacité des partis historiques à se régénérer sans sombrer dans des querelles de personnes. Le PDCI, autrefois pilier de la vie politique ivoirienne, joue peut-être là l’une de ses dernières cartes pour redevenir une force crédible face au RHDP au pouvoir.
L’affaire Thiam-Yapo n’est pas anodine. Elle engage non seulement l’avenir d’un homme, mais celui d’un parti et, par ricochet, d’un pays. Car la Côte d’Ivoire entre dans une phase électorale délicate, où la tentation de judiciariser la politique pourrait devenir une arme à double tranchant. Qu’il soit confirmé ou affaibli, Tidjane Thiam demeure au centre du jeu. Le verdict du 11 avril sera observé de près, autant par ses partisans que par ses adversaires. Mais d’ores et déjà, l’épisode rappelle que dans les démocraties africaines en construction, la légalité est souvent le terrain de toutes les batailles.
Tony A.