Le climat économique du Nigéria s’enflamme autour d’un produit : le kérosène. Et au centre de la tourmente, deux poids lourds s’affrontent. D’un côté, Aliko Dangote, industriel milliardaire et propriétaire de la plus grande raffinerie d’Afrique. De l’autre, la NNPC (Nigerian National Petroleum Company), pilier stratégique de l’État. L’homme le plus riche du continent accuse la compagnie publique de bloquer l’écoulement local de son kérosène, pourtant essentiel au marché intérieur. En riposte, il menace de tourner le dos au Nigéria… et d’exporter massivement sa production vers les États-Unis.
Cette décision, loin d’être symbolique, traduit simplement une crise plus profonde : celle de la gouvernance énergétique du Nigéria. Une gestion entre intérêts privés, opacité publique et lutte pour le contrôle d’un secteur vital. Si la raffinerie de Dangote avait été saluée comme une bouée de sauvetage face aux importations onéreuses, le conflit actuel fait surgir une question pertinente. Le Nigéria est-il prêt à accueillir ses propres champions industriels ?
NNPC vs Dangote, une crise de confiance ?
Au cœur du conflit, il y a la bataille du marché intérieur. Dangote affirme que la NNPC l’empêche de vendre son kérosène localement, au profit d’importations qu’elle continue d’assurer, malgré l’existence d’une production nationale. Ce blocage, selon lui, vise à maintenir un monopole étatique sur la distribution, voire à saboter une entreprise privée devenue trop puissante.
En décidant d’exporter vers les États-Unis, Dangote frappe fort. Il envoie un message clair : si l’État ne joue pas le jeu du marché, il ira chercher ses profits ailleurs. Un choix qui transparait comment un paradoxe étant donné que le pays croule sous une crise énergétique et des pénuries récurrentes de produits pétroliers raffinés. Malheureusement son kérosène le plus accessible est envoyé à l’étranger. Une aberration économique qui pénalise directement les ménages nigérians les plus vulnérables, dont le kérosène reste une source d’énergie domestique essentielle.
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Vers une reconfiguration du rapport public-privé ?
Les répercussions de cette crise pourraient dépasser le cadre énergétique. Si Dangote persiste, cela marquerait une rupture entre l’élite industrielle et l’appareil d’État, dans un pays où la collusion entre affaires et politique a toujours dicté les règles du jeu. Cela pose aussi une question fondamentale : un État peut-il se permettre d’entraver ses propres champions économiques au risque de fragiliser sa population ?
En parallèle, cette tension pourrait accélérer la refonte de la politique énergétique du pays. Pressée de réagir, la NNPC pourrait se voir contrainte de revoir ses pratiques monopolistiques, ou au contraire, durcir sa position au risque d’aggraver la fuite des capitaux industriels.
Le bras de fer entre Dangote et la NNPC est bien plus qu’un simple différend commercial. Il illustre à juste titre les limites d’un système où la rente pétrolière l’emporte souvent sur la logique industrielle. Entre ouverture à l’investissement privé et défense d’un secteur d’État, quelle voie choisir ? Pour l’instant, c’est le consommateur nigérian qui paie le prix de ce duel énergétique.
Sandrine A.