Au Cameroun, la tension politique issue de la présidentielle s’est muée en paralysie économique. Depuis l’annonce des résultats, le pays tourne au ralenti. Les entreprises ferment, les transports s’immobilisent et la peur s’installe. Les violences post-électorales ont transformé les zones urbaines en espaces d’incertitude où le commerce, l’emploi et la production s’effondrent en quelques jours.
Mais au-delà de la conjoncture, c’est tout un système économique déjà fragilisé qui vacille. Dans un pays où le secteur informel occupe une grande partie de la population active, l’arrêt des activités menace directement la survie quotidienne de millions de Camerounais. L’ insécurité, l’inflation anticipée et la perte de confiance, la crise politique risque de provoquer une onde de choc bien plus durable que la colère des urnes.
La peur économique s’installe au Cameroun
L’incendie des stations-service, la fermeture des commerces et la raréfaction des transports traduisent une réalité brutale. La peur est devenue un facteur économique au Cameroun. À Douala, Yaoundé ou Garoua, les entrepreneurs attendent, les chauffeurs garent leurs véhicules, et les salariés rentrent chez eux sans certitude de retrouver un emploi demain. Pour Al Hadji Djika, président de l’intersyndicale Union pour le transport, la prudence s’impose : « Si la situation perdure, il y aura des pénuries, en commençant par le carburant et les denrées alimentaires. »
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Cette prudence, cependant, a un coût. Les chaînes d’approvisionnement se disloquent, les circuits commerciaux sont interrompus et les stocks diminuent. L’économie camerounaise, déjà ralentie par la hausse du coût de la vie, subit un choc de confiance. Les investisseurs suspendent leurs décisions, les PME arrêtent leurs opérations, et les banques redoutent une vague de défauts de paiement. Dans un pays où la trésorerie moyenne des petites entreprises ne dépasse pas quelques semaines, le risque d’effondrement du tissu entrepreneurial est réel.
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La fragilité structurelle du modèle camerounais mise à nu
Pour l’heure, cette crise révèle une faiblesse profonde qu’est la dépendance du Cameroun à la stabilité politique. L’économie repose sur un équilibre délicat entre centralisation du pouvoir, réseau d’affaires et climat d’apparente stabilité. Lorsque ce pilier chancelle, c’est tout le système qui s’effondre. La situation actuelle n’est pas qu’un épisode ponctuel de tensions post-électorales. Elle expose surtout le manque de résilience d’un modèle incapable d’absorber les chocs politiques sans basculer dans la paralysie.
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Pour les entrepreneurs comme Zephirin Jiogo, directeur de la startup Digital Mobility, l’impact est immédiat : « C’est un désastre. Le tissu des PME était déjà fragile, tout est à l’arrêt. Nous ne pouvons plus livrer, nos chauffeurs n’ont plus de revenus. » Cette détresse illustre l’enjeu humain derrière la crise. Des milliers d’emplois informels et précaires disparaissent du jour au lendemain, aggravant la précarité et alimentant les frustrations sociales. Enfin, l’incertitude actuelle risque de compromettre durablement la confiance des partenaires économiques étrangers. L’image d’un Cameroun stable, pilier de la région, se fissure. Les investisseurs, déjà prudents, pourraient rediriger leurs capitaux vers des marchés jugés plus prévisibles, accentuant la fuite des opportunités. L’économie camerounaise est aujourd’hui prise en otage entre l’instabilité politique et la peur de l’avenir.
Derrière les vitrines fermées et les routes désertes, c’est la promesse d’un développement freiné qui s’écrit. Si la situation n’est pas rapidement stabilisée, le pays pourrait faire face à une double crise : politique et socio-économique. La présidentielle, censée être un exercice démocratique, devient ainsi le déclencheur d’un arrêt brutal de l’activité. Et dans ce silence économique, une leçon se dessine. Aucun pouvoir ne peut se dire fort tant que son peuple ne peut plus travailler, commercer, ni espérer. Le Cameroun, aujourd’hui, ne manque pas seulement de stabilité politique il manque d’oxygène économique.
Tony A.

