L’alerte est désormais publique. Les syndicats d’Air Sénégal tirent la sonnette d’alarme et appellent les autorités à agir avant qu’il ne soit trop tard. Dans une note rendue publique, les délégués du personnel dénoncent une situation financière et opérationnelle « sans précédent » au sein de la compagnie nationale. Au cœur des inquiétudes, une dette colossale, des retards de salaire, et des choix de gestion jugés incohérents, alors même qu’Air Sénégal s’apprête à jouer un rôle prestigieux en tant que transporteur officiel des Jeux olympiques de la jeunesse de 2026.
Mais derrière cette crise apparente se cache un malaise plus profond, celui d’une compagnie née avec l’ambition de symboliser le renouveau aérien du Sénégal et qui se retrouve aujourd’hui à incarner ses fragilités structurelles. Dettes, luttes d’influence et modèle économique incertain, Air Sénégal illustre le dilemme d’un État qui veut allier prestige national et rentabilité commerciale dans un ciel africain de plus en plus concurrentiel.
Des finances en chute libre et une confiance en panne
Les chiffres avancés par les syndicats donnent le vertige. « Des centaines de milliards de francs CFA de dettes », des salaires versés en retard et des décisions d’investissement jugées « hasardeuses ». L’achat d’avions hors du cadre du business plan initial, la location d’appareils avec équipage, une dizaine selon les représentants du personnel et des coûts d’exploitation élevés fragilisent davantage une trésorerie déjà exsangue. Pour les salariés, ces choix stratégiques témoignent d’un pilotage à vue, loin d’une vision cohérente de croissance durable.
Face à ces accusations, la direction se défend. Elle assure avoir engagé un « travail rigoureux d’assainissement financier » et affirme avoir réduit la dette de 118 à 37 milliards de francs CFA entre juillet 2024 et avril 2025. Des progrès réels, mais qui peinent à rassurer un personnel en proie au doute, surtout lorsque la communication interne manque de transparence. La question n’est donc plus seulement celle des chiffres, mais celle de la crédibilité managériale.
Le cas du Boeing 777 loué pour la ligne Dakar-Paris illustre parfaitement cette fracture. Pour la direction, il s’agit d’une solution temporaire le temps que les deux A330neo soient de nouveau opérationnels ; pour les syndicats, c’est un symbole d’incohérence économique et d’improvisation stratégique. Ce désaccord témoigne d’une rupture de confiance entre les équipes et la hiérarchie, une rupture bien plus dangereuse que les chiffres rouges.
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Le mirage du pavillon national pour Air Sénégal
Air Sénégal n’est pas qu’une entreprise. C’est un symbole national, un outil de prestige et de souveraineté pour un pays qui aspire à se positionner comme hub aérien régional. Mais ce statut symbolique est à double tranchant. Trop souvent, les décisions politiques interfèrent avec la logique économique. Les nominations internes « sans transparence », dénoncées par les délégués du personnel, ne sont que la partie visible d’une gouvernance marquée par les influences politiques et les équilibres diplomatiques.
Cette confusion entre ambition nationale et rigueur commerciale mine la performance de la compagnie. Dans un ciel africain dominé par des concurrents plus solides Ethiopian Airlines, Royal Air Maroc ou encore Air Côte d’Ivoire, Air Sénégal peine à définir une identité claire : compagnie de prestige ou acteur rentable ? Son positionnement hybride la condamne à naviguer entre déficits structurels et attentes politiques irréalistes. Pourtant, les atouts ne manquent pas : un réseau stratégique entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe, un capital humain jeune et compétent, et le soutien de l’État. Mais sans un assainissement profond de la gouvernance et une transparence accrue, ces forces risquent de rester inexploitées. L’audit complet annoncé par les autorités en avril dernier est une première étape. Encore faut-il qu’il débouche sur une refonte réelle du modèle économique, et non un simple réaménagement cosmétique.
Air Sénégal traverse l’une des zones de turbulence les plus graves de son histoire. Si la compagnie nationale veut éviter le crash, elle doit opérer un atterrissage d’urgence vers la rigueur : transparence des décisions, recentrage sur les lignes rentables, implication réelle du personnel et dépolitisation de la gestion. Car derrière les bilans comptables, c’est la crédibilité du Sénégal dans le secteur aérien africain qui se joue. Être transporteur officiel des Jeux olympiques de la jeunesse en 2026 ne suffira pas à redorer l’image d’un pavillon national en détresse. La vraie victoire, pour Air Sénégal, serait de redevenir un symbole d’excellence, et non une métaphore du survol politique de la rigueur économique.
Tony A.

