Le MCC (Millennium Challenge Corporation), principal instrument de l’aide bilatérale américaine en Afrique, tire sa révérence, laissant derrière lui un vide financier considérable, des projets inachevés et des perspectives de développement sérieusement compromises pour plusieurs pays du continent. Ce programme d’aide américain, conçu pour soutenir des projets d’infrastructures en échange de réformes de gouvernance, représentait depuis 2004 un pilier du soft power américain en Afrique. Son interruption brusque fait l’effet d’un séisme silencieux.
Créé en 2004, le MCC représentait une forme de diplomatie pragmatique. Deux tiers des fonds étaient alloués par le MCC étaient destinés au continent africain, finançant des routes, des centrales électriques, des projets agricoles, des écoles. Aujourd’hui, avec l’annonce de sa suppression, des emplois s’envolent et un pan entier de coopération s’effrite. Les chantiers s’interrompent, les espoirs se dissipent, et les États africains doivent revoir leurs partenariats et stratégies de financement. Deux tiers des bénéficiaires se trouvaient en Afrique. Désormais, la décision de Washington de se désengager redéfinit les priorités géopolitiques des États-Unis et redessine la carte de l’influence sur le continent. Au-delà du choc budgétaire, ce retrait pose une question cruciale : les pays africains peuvent-ils encore compter sur leurs alliés traditionnels dans la refondation de leur développement ?
Le MCC, un soutien non négligeable
À Abidjan, l’échangeur de Koumassi et la réhabilitation du boulevard du Port sont les rares exemples achevés de ce que le MCC pouvait produire : des infrastructures stratégiques, bien conçues, aux effets multiplicateurs sur l’économie. Pour Marie-Viviane Ado Gossan-Coulibaly, directrice du MCA Côte d’Ivoire, la portée de ce programme allait bien au-delà du bitume : « Ces routes dynamisent les filières agricoles, la logistique portuaire, les zones industrielles. Elles changent concrètement la vie des populations. »
Mais ailleurs, l’histoire s’interrompt. Au Malawi, un programme de 350 millions de dollars pour la construction de routes interrégionales vient d’être suspendu, frappé par le « changement de doctrine » de Washington. Le ministre des Transports, Jacob Hara, se dit « dépité » par ce retrait brutal, qui compromet des années de planification nationale. Des marchés publics annulés, des PME locales privées de contrats, des milliers de travailleurs informels renvoyés chez eux.
Ce cas n’est pas isolé. Au Bénin, en Zambie ou au Ghana, d’autres projets routiers, énergétiques ou agricoles subissent des retards, des gels ou des révisions budgétaires drastiques. Le choc est systémique, car les États avaient intégré ces financements dans leurs plans décennaux de développement. Il s’agit donc d’un effet domino, potentiellement déstabilisateur.
Le reflux du soft power occidental face à l’avancée chinoise et russe
Le MCC désormais suspendu s’inscrit dans un contexte plus large de désengagement occidental. L’USAID, l’Agence américaine pour le développement international, a également vu ses ressources chuter. La France, en pleine refonte de sa politique africaine, a sabré plusieurs lignes budgétaires de l’AFD (Agence française de développement). Le Royaume-Uni, de son côté, a considérablement réduit son aide au Commonwealth et au Sahel.
Or, ces coupes ne sont pas neutres. « Il y a un effet psychologique fort dans les capitales africaines », explique Ibrahim Amadou Louché, économiste nigérien. « Quand des puissances partenaires de longue date suspendent leurs soutiens, cela ébranle les équilibres politiques, et pousse les gouvernements à chercher des financements ailleurs, souvent à des conditions bien moins favorables. »
Le grand gagnant de ce retrait est sans conteste la Chine, dont les prêts bilatéraux, souvent adossés à des ressources naturelles (pétrole, minerais), sont en nette progression. Mais cette approche, centrée sur des investissements à contrepartie, creuse l’endettement. Le cas du Sri Lanka, qui a perdu son port d’Hambantota au profit de Pékin, reste dans toutes les mémoires. Plusieurs États africains, comme l’Angola, le Kenya ou Djibouti, sont déjà en situation d’alerte. Les Russes, quant à eux, avancent leurs pions via des partenariats militaro-économiques ou des entreprises de façade. Les financements ne sont pas à proprement parler de l’aide, mais relèvent d’une forme d’exploitation stratégique (or, diamants, bois). Ce n’est donc pas seulement un retrait économique, mais bien une perte d’influence démocratique que subissent les États-Unis et leurs alliés.
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Un véritable tournant
Le MCC retiré par les Etats Unis est un véritable pour le continent. Un tournant non pas seulement parce que l’Afrique perd des milliards de dollars de financement, mais parce que ce départ marque le retrait d’un modèle basé sur les réformes, la transparence et la co-construction. En désertant ce champ, les pays occidentaux laissent la place à des acteurs qui privilégient les intérêts géostratégiques à court terme, souvent au détriment du développement durable.
Pour les pays africains, ce choc avec le MCC doit être l’occasion de repousser les limites de leur dépendance, en renforçant les mécanismes de financement internes, en valorisant les partenariats Sud-Sud, et en diversifiant leurs sources d’investissement. Car l’alternative à la coopération vertueuse n’est pas l’autosuffisance, mais le risque de re-colonisation économique par d’autres puissances.
Tony A.