Dialogue : c’est le mot qui revient avec insistance dans la classe politique ivoirienne, alors que le pays s’engage vers l’élection présidentielle de 2025 dans un climat tendu. Le retrait de plusieurs figures majeures de la liste électorale, dont Tidjane Thiam, leader du PDCI, suscite de vives réactions. Cette décision judiciaire, interprétée par certains comme une exclusion politique dissimulée, ravive les inquiétudes sur la légitimité et l’inclusivité du processus électoral. Face à cette situation, des voix s’élèvent, à l’instar de Charles Blé Goudé, pour réclamer une concertation nationale capable de désamorcer la crise naissante.
Mais face à ces sollicitations, le gouvernement reste inflexible, arguant que les institutions républicaines ont vocation à trancher ce type de contentieux. Pour le pouvoir en place, les règles du jeu sont claires et nul ne saurait y déroger avec un dialogue politique. Pourtant, cette posture, si elle repose sur un principe de légalité, pourrait aggraver le déficit de confiance entre les forces politiques, dans un pays où chaque cycle électoral réveille les souvenirs douloureux de conflits passés.
Des figures majeures écartées : une opposition en perte de leviers ?
Le constat dressé par Charles Blé Goudé est glaçant : Gbagbo, Soro, Thiam, lui-même… autant de leaders politiques rayés de la liste électorale. Si les raisons varient condamnations judiciaires, contentieux administratifs, l’effet est le même : une opposition désarmée, contrainte d’agir en spectatrice d’un jeu électoral qu’elle juge déséquilibré. Ce vide crée une fracture entre le pouvoir et une large frange de la population qui se reconnaît dans ces figures historiques.
Le risque, pour la stabilité démocratique, est réel. Car une élection à sens unique, perçue comme verrouillée en amont, perd de sa légitimité populaire, même si elle respecte formellement la légalité. Le message de Blé Goudé, qui appelle à un « conclave » sans esprit de revanche, vise justement à éviter cet engrenage de frustrations et de violences latentes. Il ne s’agit pas d’exiger des arrangements politiques hors cadre, mais d’inventer un espace de confiance avant le choc des urnes.
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Le refus du dialogue politique : légalisme assumé ou méfiance ?
Du côté du gouvernement, la fermeture au dialogue politique s’appuie sur une lecture rigoureuse des textes. Les institutions sont installées, le cadre électoral est défini, il n’y a donc pas lieu de relancer une concertation politique. Pour Amadou Coulibaly, porte-parole du gouvernement, céder à la pression d’un nouveau dialogue reviendrait à fragiliser la crédibilité des institutions et à encourager des ententes politiques au détriment du droit.
Mais cette posture soulève une question de fond : le légalisme peut-il se substituer à la recherche du consensus dans un contexte encore fragile ? L’histoire récente de la Côte d’Ivoire, marquée par les crises postélectorales de 2010-2011, montre que l’absence de dialogue politique inclusif ouvre souvent la voie à des radicalisations. À ce jour, le refus d’ouvrir une nouvelle phase de concertation politique semble ignorer les signaux d’alarme d’une société en demande de réconciliation réelle.
Le processus électoral ivoirien risque d’être miné avant même son démarrage, si l’exclusion de figures politiques clés n’est pas accompagnée d’un cadre de dialogue capable de recréer un minimum de confiance. L’appel de Charles Blé Goudé est peut-être la dernière tentative pour faire prévaloir la raison sur la rancune et la concertation sur la confrontation. Dans un pays où l’histoire électorale est jalonnée de violences, ignorer les appels au dialogue ne serait pas seulement une erreur politique, mais un pari dangereux pour la paix sociale.
Tony A.