La radiation de Tidjane Thiam de la liste électorale ivoirienne continue de secouer la scène politique à quelques mois de la présidentielle. Alors que la décision judiciaire l’ayant déclaré inéligible a été rendue publique la semaine dernière, les autorités judiciaires, par la voix du ministère de la Justice, ont tenu à livrer leur version des faits. L’enjeu n’est pas simplement juridique mais de répondre aux questions fondamentales sur l’interprétation du droit de la nationalité, les méthodes d’exclusion politique et la solidité de l’État de droit en Côte d’Ivoire.
En toile de fond, un homme, Tidjane Thiam, qui incarne à la fois une rupture générationnelle et un renouveau politique potentiel, à la tête d’un PDCI en quête de revanche. Dès lors, la bataille pour sa réintégration sur la liste électorale dépasse sa seule personne. Elle reflète une lutte de pouvoir plus large, où le droit, la politique et les intérêts partisans s’entrechoquent.
La radiation de Thiam une décision juridique controversée
Au cœur du contentieux : l’article 48 du Code de la nationalité ivoirienne. Selon la juge, Tidjane Thiam aurait perdu automatiquement sa nationalité en 1987 lors de sa naturalisation française, le rendant de facto inéligible au moment de son enrôlement électoral en 2022. Une interprétation que conteste son camp, qui affirme qu’il était binational à la naissance et qu’il n’a jamais cessé d’être ivoirien dans les faits.
L’intervention du ministère de la Justice vient compliquer davantage l’affaire. Le directeur des affaires civiles et pénales affirme que Thiam a recouvré automatiquement sa nationalité ivoirienne depuis le 19 mars 2025, date à laquelle il s’est officiellement défait de sa nationalité française. Une clarification importante, mais qui n’efface pas les soupçons de manipulation politique d’un dossier aux conséquences explosives. Car dans un pays marqué par les exclusions électorales successives (on se souvient du « rattrapage ethnique » et de la question des « Ivoiriens de souche »), la nationalité reste un instrument redoutable de contrôle politique.
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Politisation du droit et instrumentalisation de la justice ?
Derrière les débats juridiques, se profile un affrontement politique majeur. La décision de radiation de Thiam intervient alors qu’il est perçu comme un adversaire sérieux du pouvoir en place. Le PDCI, qui peine à se remettre des années Bédié, voit en lui une figure consensuelle et capable de rassembler au-delà des clivages traditionnels. Sa mise à l’écart judiciaire est donc vue par beaucoup comme un coup de frein à une dynamique ascendante.
Le camp Thiam ne s’avoue pas vaincu. Il a donc fait recours en annulation, une dénonciation d’un vice de procédure (absence de communication au ministère public), mobilisation médiatique… La stratégie vise à montrer que cette décision de radiation ne repose pas uniquement sur le droit, mais sur une volonté politique de neutralisation. Le discours du PDCI est clair : « non négociable » est le maintien de leur candidat sur la liste, appelant à un audit électoral et à une reprise du dialogue.
Au-delà de Thiam, cette affaire interroge la crédibilité des institutions judiciaires. Dans un contexte où l’indépendance des magistrats est régulièrement remise en cause, une telle décision pourrait éroder encore davantage la confiance des citoyens dans le système démocratique. Et faire de la présidentielle d’octobre une élection sous tension.
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Un tournant pour la démocratie ivoirienne
L’affaire Thiam marque un tournant. Elle pose la question de savoir si la Côte d’Ivoire est prête à rompre avec les pratiques d’exclusion électorale ou si elle s’enfonce dans un cycle de répétitions où la justice devient un levier politique. À quelques mois de l’échéance présidentielle, l’image d’un État capable de garantir un processus électoral juste et transparent est en jeu.
Plus encore, cette affaire pourrait redéfinir les rapports de force dans l’opinion. En victimisant Thiam, le pouvoir pourrait involontairement renforcer sa stature politique. Car au-delà du droit, l’essentiel est peut-être là : dans cette capacité d’un homme à incarner l’alternance face à un système qui, en l’écartant, révèle ses propres fragilités.
Tony A.