En Centrafrique, l’exploitation minière prend des allures de guerre d’influence. Depuis plusieurs années, l’or de Ndassima symbolise l’ancrage de la Russie sur le territoire centrafricain via le groupe Wagner. Aujourd’hui, un nouveau chapitre s’écrit à Idéré, dans l’ouest du pays. Sous l’apparente façade d’une exploitation industrielle, les mécanismes observés rappellent ceux d’une stratégie bien huilée. C’est-à-dire accaparement de ressources, sociétés écrans, fiscalité avantageuse et opacité des circuits de revente.
Avec le développement rapide de la mine d’Idéré, un schéma désormais familier se dessine. Les données du groupe d’enquêteurs All Eyes on Wagner pointent une série d’indices concordants : un permis minier obtenu à grande vitesse, une société à la direction suspecte, des similitudes avec des opérations en RDC et une destination de l’or qui soulève de nombreuses questions. L’affaire dépasse la simple exploitation aurifère. Elle indique des enjeux géopolitiques, économiques et sécuritaires majeurs pour la région.
Une expansion économique sous couvert de partenariat minier à Idéré
Depuis décembre 2023, la mine d’Idéré connaît un développement accéléré. Les images satellitaires analysées révèlent l’ampleur de l’aménagement : miradors, pistes d’accès, tranchées et baraquements. Difficile d’imaginer une simple mine artisanale. L’entreprise Heavy Industrial, détentrice du permis, n’a été enregistrée qu’en mars 2023, avant de signer en mai un accord de partenariat de 25 ans avec l’État centrafricain.
Le cadre fiscal de cette convention serait, selon les analystes, particulièrement favorable à la compagnie une constante dans les activités des sociétés proches de Wagner. Ce régime permissif laisse planer le doute sur la nature exacte des contreparties à l’État et l’usage réel des revenus générés. D’autant plus que derrière la direction officielle de la société se cache une figure connue à Bangui, impliquée dans d’autres entreprises similaires. Pour All Eyes on Wagner, il ne fait guère de doute : il s’agit d’une gérante de paille.
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Extraction aurifère et stratégie géopolitique
L’affaire Idéré ne peut être dissociée du contexte régional. En RDC voisine, une entreprise du même nom, montée par des ressortissants russes, a déclaré avoir exporté pour 1,5 million de dollars d’or vers les Émirats Arabes Unis. Le parallèle interpelle. La Centrafrique semble devenir un nœud logistique pour les ressources stratégiques russes en Afrique centrale, tout en permettant à Moscou de contourner certaines sanctions occidentales.
Au-delà de l’enjeu économique, ces implantations minières renforcent la présence paramilitaire et sécuritaire russe. Elles s’ancrent dans un réseau d’influence où les intérêts militaires, politiques et économiques s’entrelacent, dans une zone historiquement instable et sous-dotée en infrastructures de contrôle. L’or, dans ce cas, est autant une ressource qu’un levier de pouvoir.
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Un or qui coûte plus qu’il ne rapporte ?
L’exploitation du site d’Idéré, à l’instar de celle de Ndassima, révèle la sophistication de la stratégie russe en Afrique : créer des relais économiques sous couvert de légalité, instrumentaliser les faiblesses institutionnelles locales, et construire une influence durable à bas bruit. Pour Bangui, le risque est grand. Il s’agit entre autres de la perte de souveraineté économique, de dépendance sécuritaire accrue et d’isolement diplomatique croissant.
L’or d’Idéré pourrait ainsi ne pas briller de la même manière pour tous. Alors que quelques intérêts privés semblent en tirer profit, le peuple centrafricain, lui, reste à la périphérie d’un système opaque qui exploite ses ressources sans garantie de redistribution. La vigilance citoyenne et la transparence sont plus que jamais nécessaires pour ne pas troquer une richesse souterraine contre un appauvrissement politique.
Tony A.