Le 22 avril 2025, le tribunal de première instance d’Abidjan a rendu une décision aussi inattendue que lourde de conséquences. Il s’agit de la radiation de Tidjane Thiam de la liste électorale. Pour la juge, l’ancien patron du Crédit Suisse n’était plus juridiquement Ivoirien au moment de son inscription, s’appuyant sur l’article 48 du Code de la nationalité. L’interprétation de ce texte par la justice ivoirienne, bien que juridiquement fondée selon le tribunal, déclenche une onde de choc dans le paysage politique, à quelques mois d’une élection présidentielle cruciale pour la stabilité du pays.
Cette éviction judiciaire n’est pas anodine. Elle frappe le principal candidat du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), arrivé en tête avec plus de 99 % des suffrages lors de la primaire du 16 avril. Pour de nombreux observateurs, cette décision résonne comme une mise à l’écart politique déguisée en contentieux administratif. Une stratégie qui pourrait bien pousser le PDCI dans un corner électoral inédit depuis la mort d’Henri Konan Bédié, et obliger le parti à repenser toute sa dynamique électorale.
Une radiation de Tidjane Thiam à la portée politique explosive
Si le contentieux judiciaire autour de la nationalité de Tidjane Thiam divise les juristes, son effet sur la campagne présidentielle ne fait aucun doute. Le choix du PDCI de miser sur Thiam symbolisait une rupture générationnelle et une tentative de refondation idéologique. Ex-bureaucrate international, à la fois respecté pour son parcours et perçu comme « vierge » du jeu politique ivoirien traditionnel, Thiam représentait l’opportunité d’un retour gagnant pour le vieux parti historique.
En l’écartant de la course par une décision judiciaire, c’est tout un édifice politique qui vacille. Le PDCI n’a, à ce jour, aucun candidat aussi fédérateur, aussi consensuel. Le recours à une personnalité de rechange, à l’instar de Jean-Louis Billon ou d’un autre cadre, pourrait accentuer les fractures internes entre la vieille garde, les réformateurs, et les ambitions personnelles longtemps contenues.
Mais au-delà du PDCI, cette décision jette une ombre sur la transparence du processus électoral lui-même. Elle nourrit les accusations de manœuvres politiques en amont du scrutin, à l’instar de celles portées par Thiam, qui évoque un « raisonnement juridique inique ». Pour l’opinion publique et la communauté internationale, le risque d’une élection perçue comme verrouillée en amont devient réel.
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Quel avenir pour le PDCI dans ce climat incertain ?
L’éviction de Tidjane Thiam place le PDCI face à un dilemme stratégique de taille : faut-il continuer de soutenir un candidat juridiquement exclu, en espérant une issue politique, ou réorienter l’appareil vers une candidature de remplacement ? La seconde option pourrait être synonyme de désunion, car elle renforcerait les querelles de leadership dans un parti déjà en reconstruction après la disparition de son mentor. Jean-Louis Billon, longtemps perçu comme le « plan B », semble s’organiser en marge à travers son mouvement ADNCI, sans pour autant obtenir une légitimité totale de l’appareil central. Son retour comme candidat de consensus semble improbable sans un accord fort au sein de la direction. D’autres figures, comme Maurice Kakou Guikahué ou Thierry Tanoh, manquent du poids populaire et médiatique de Tidjane Thiam.
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Le PDCI risque donc une campagne fragilisée, désorientée et divisée, ce qui serait un avantage stratégique majeur pour le parti au pouvoir. Plus globalement, le vide laissé par l’absence de Thiam pourrait démobiliser une base électorale urbaine et jeune, séduite par le profil « technocrate moderne » qu’il incarnait. La radiation de Tidjane Thiam est bien plus qu’un simple épisode juridique : elle rebat les cartes d’un scrutin majeur et menace la lisibilité démocratique du processus électoral ivoirien. Elle révèle aussi, en creux, les fragilités internes du PDCI, contraint de revoir ses plans dans l’urgence et sous tension.
À court terme, le risque est celui d’un repli sur des candidatures par défaut, d’une démobilisation des électeurs et d’une campagne dominée par les calculs politiciens plutôt que par les débats de fond. À long terme, cette affaire pourrait redéfinir les rapports entre justice, politique et citoyenneté dans une Côte d’Ivoire encore marquée par les traumatismes post-électoraux. Le PDCI saura-t-il se relever de cette épreuve ? Rien n’est moins sûr, mais l’avenir de l’opposition en dépend.
Tony A.