Le 25 avril dernier, une attaque jihadiste dans la région de Tillabéri, au Niger, a entraîné l’enlèvement de cinq ressortissants indiens travaillant sur le chantier du barrage hydroélectrique de Kandadji. Lors de cette attaque meurtrière, douze soldats nigériens ont été tués. Si l’événement a été peu relayé par les autorités nigériennes comme par l’ambassade indienne, il révèle pourtant des failles persistantes dans la sécurisation des projets stratégiques internationaux dans la région sahélienne.
Kandadji n’est pas un projet ordinaire. Il s’agit d’un barrage symbole de développement et de souveraineté énergétique pour le Niger, mais aussi d’un chantier transnational impliquant des entreprises et des ressortissants étrangers. L’attaque qui a frappé ce site stratégique expose ainsi une double alerte. La première porte sur l’extrême vulnérabilité de la région des trois frontières et la seconde sur les dilemmes croissants auxquels sont confrontés les États et les partenaires internationaux dans la gestion des risques liés au développement.
Tillabéri, fracture sahélienne et piège pour les chantiers stratégiques
Située dans l’épicentre de la zone des trois frontières, la région de Tillabéri est devenue, au fil des années, l’un des territoires les plus instables du Sahel. Contrôlée en partie par l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), cette région est désormais synonyme de chaos sécuritaire. L’attaque du 25 avril n’est pas un acte isolé, mais s’inscrit dans une stratégie des groupes jihadistes visant à désorganiser les projets structurants portés par les États.
Le barrage de Kandadji, qui représente un espoir énergétique pour le Niger, devient ainsi une cible de choix. Sa construction, déjà ralentie par des problèmes de financement et de gouvernance, est aujourd’hui fragilisée par l’insécurité chronique. L’enlèvement des cinq ingénieurs indiens, directement impliqués dans l’installation de la ligne électrique du barrage, interroge la capacité des autorités nigériennes à sécuriser durablement les projets stratégiques, même sous escorte militaire.
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Silence diplomatique et enjeux géopolitiques croisés
Alors que l’enlèvement à Kandadji implique des ressortissants étrangers, la réaction officielle reste étonnamment discrète. Ni le gouvernement nigérien ni l’ambassade de l’Inde n’ont pour l’instant fait de déclaration publique ferme, préférant manifestement une diplomatie de couloir. Pourtant, la situation met à l’épreuve les relations bilatérales et pourrait compliquer davantage les perspectives d’investissements étrangers dans une région perçue comme trop risquée.
En Inde, les autorités de l’État du Jharkhand d’où sont originaires les techniciens enlevés ont déclaré avoir saisi le ministère des Affaires étrangères pour accélérer leur libération. Des efforts sont en cours, en lien avec l’ambassade à Niamey. Cette gestion feutrée du dossier trahit la complexité géopolitique de la région sahélienne : le Niger post-coup d’État, isolé sur la scène internationale, coopère désormais étroitement avec des partenaires comme la Russie, tout en perdant le soutien d’acteurs occidentaux majeurs. Dans ce contexte, l’Inde pourrait privilégier une approche discrète, afin de ne pas compromettre ses relations avec le pouvoir militaire en place.
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Le barrage de Kandadji, un test pour la résilience sécuritaire et diplomatique du Niger
Ce nouvel enlèvement à Kandadji constitue un test décisif pour les autorités nigériennes. Il illustre l’échec des réponses sécuritaires classiques face à la mobilité des groupes jihadistes, mais aussi les limites d’un environnement diplomatique bouleversé par les coups d’État et les recompositions d’alliances. Pour les partenaires étrangers, notamment asiatiques, il est aisé de se demander si on peut encore investir dans les grands chantiers africains en zone rouge ?
Plus qu’un incident isolé, cette attaque à Kandadji révèle un profond déséquilibre entre les ambitions de développement du Sahel et la capacité réelle des États à garantir un climat de sécurité. Sans réponse rapide et efficace, le projet de barrage pourrait rester une promesse suspendue, au prix d’un lourd tribut humain et stratégique.
Tony A.