En foulant le sol nigérien le 16 avril dernier, Yusuf Maitama Tuggar, ministre nigérian des Affaires étrangères, a brisé près de neuf mois de gel diplomatique entre Abuja et Niamey. Depuis le coup d’État de juillet 2023 qui a évincé Mohamed Bazoum du pouvoir, les relations entre les deux pays voisins s’étaient considérablement détériorées, notamment après le soutien manifeste du Nigeria à une possible intervention militaire de la CEDEAO pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Cette visite du chef de la diplomatie nigériane, la première du genre depuis le putsch, marque donc un tournant crucial dans la réactivation des relations bilatérales.
Le ton du communiqué final contraste d’ailleurs avec la tension qui a dominé les échanges entre les deux États ces derniers mois. Parlant de « fraternité », de « ferveur » et d’« enthousiasme », les diplomates ont voulu donner le signal d’un apaisement progressif, fondé sur des enjeux communs aussi bien sécuritaires qu’économiques. Derrière les symboles, cette visite de Yusuf Maitama Tuggar s’inscrit dans un contexte de réalignement stratégique et d’intérêts mutuels à préserver dans un Sahel en recomposition.
Une détente politique à géométrie variable
Le déplacement de Yusuf Maitama Tuggar à Niamey constitue un geste fort d’Abuja, conscient des limites de l’isolement du Niger dans un contexte régional fragile. En prenant acte de la nouvelle réalité politique, le Nigeria semble privilégier la voie du pragmatisme, en optant pour le dialogue malgré la persistance d’un pouvoir issu d’un coup d’État. La rencontre de Yusuf Maitama Tuggar avec le ministre Bakary Yaou Sangaré s’est tenue à huis clos, mais son importance est évidente : il s’agit pour les deux pays de reprendre langue sans pour autant renier les désaccords passés.
Cependant, un détail de taille atteste que la réconciliation reste partielle : Yusuf Maitama Tuggar le chef de la diplomatie nigériane n’a pas pu rencontrer le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte. Le message de Bola Tinubu a été transmis à son Premier ministre, signe que la reconnaissance du pouvoir en place demeure encore prudente, voire conflictuelle. Le choix du canal de communication en dit long sur la nature encore hésitante de cette reprise de contact.
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Sécurité et énergie : les véritables moteurs du rapprochement
Au-delà des symboles politiques, ce sont les enjeux économiques et sécuritaires qui dictent le calendrier de ce rapprochement. La reprise de la coopération sur la commission mixte nigéro-nigériane, ainsi que les projets d’envergure tels que l’autoroute et le gazoduc transsaharien, montrent que les deux pays n’ont jamais vraiment pu se tourner le dos sur le long terme. L’interdépendance énergétique et commerciale, notamment dans le corridor Maradi-Zinder–Kano, impose une coordination, même minimale.
La question sécuritaire reste elle aussi un moteur central. Face à la menace jihadiste dans la région du lac Tchad, la nécessité d’une collaboration transfrontalière s’impose. Le Niger, qui a quitté la CEDEAO et la Force multinationale mixte, ne peut pour autant se permettre un isolement complet dans la lutte contre les groupes armés. Ses infrastructures stratégiques, comme les pipelines pétroliers, sont régulièrement ciblées, accentuant sa dépendance extérieure en matière de carburant. Une situation intenable sans l’appui logistique et diplomatique d’un voisin aussi influent que le Nigeria.
La visite du ministre nigérian Yusuf Maitama Tuggar à Niamey n’est pas qu’un geste symbolique. Elle reflète la reconnaissance par Abuja que l’isolement du Niger n’est ni soutenable ni souhaitable. Dans un contexte régional marqué par la montée des régimes militaires et le recul des institutions multilatérales comme la CEDEAO, ce rapprochement bilatéral s’apparente à un retour du bilatéralisme pragmatique. Si la défiance n’est pas totalement dissipée, les intérêts partagés en matière de sécurité et d’énergie tracent les contours d’une coopération réinventée, dictée plus par les nécessités du terrain que par les idéaux diplomatiques.
Tony A.