Après une année noire pour la filière cajou, marquée par une récolte historiquement basse et des prix en forte hausse, le gouvernement sénégalais amorce un tournant stratégique. À travers une batterie de mesures incitatives et contraignantes, Dakar entend rééquilibrer une chaîne de valeur trop longtemps dominée par les exportateurs étrangers, en particulier venus d’Asie. La campagne 2025 s’ouvre ainsi sous le signe de la transformation locale, de la traçabilité et de la régulation.
Ce revirement, bien que tardif pour certains acteurs, répond aux cris d’alerte lancés depuis des années par les défenseurs de la filière cajou. Si elle est mise en œuvre efficacement, cette politique pourrait permettre non seulement de stimuler l’emploi local, mais aussi de renforcer l’autonomie économique du Sénégal face aux fluctuations du marché international de l’anacarde.
Rééquilibrer une filière cajou dominée par les exportateurs asiatiques
La première mesure phare vise à imposer un agrément obligatoire pour tout exportateur de noix de cajou brute. Ce verrou réglementaire n’est pas anodin. Il permet enfin de tracer les flux commerciaux, souvent opérés en toute opacité par des opérateurs indiens ou vietnamiens, leaders mondiaux du secteur. En instaurant une forme de « visa commercial », Dakar entend reprendre le contrôle d’un marché jusqu’ici difficilement maîtrisable.
Dans le même esprit, une taxe de 32 francs CFA par kilo exporté sera désormais prélevée. L’idée est claire : décourager les exportations à l’état brut, tout en finançant un système de prime à la transformation locale. Pour chaque kilo transformé et exporté, l’État versera une prime de 150 francs CFA. Une incitation directe à investir dans le tissu industriel national, trop souvent mis de côté au profit de gains rapides à l’export.
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Transformer pour créer de la valeur et des emplois durables
Actuellement, seules 2 000 tonnes de cajou sont transformées sur une production de plus de 60 000 tonnes, soit à peine 3%. Le paradoxe est flagrant : le Sénégal exporte presque toute sa production sans en tirer la valeur ajoutée. Le gouvernement veut faire passer ce taux à 10% d’ici 2027. Objectif ambitieux, mais vital pour l’économie nationale. Les onze unités de transformation recensées dans le pays emploient aujourd’hui un peu plus de 3 000 personnes. Avec une sécurisation de 6 000 tonnes de noix réservées à ces unités locales, le gouvernement pose les bases d’une montée en puissance progressive. Derrière ces chiffres se cache une promesse : celle de créer des milliers d’emplois directs et indirects dans les zones rurales, là où les opportunités économiques se font rares.
Ce soutien institutionnel pourrait aussi attirer des investisseurs privés dans un secteur jusqu’ici jugé peu rentable à cause de l’absence de politique industrielle claire. Désormais, le cadre est posé, et les premiers bénéficiaires pourraient bien être les femmes, largement majoritaires dans la main-d’œuvre de transformation.
En misant sur la transformation locale du cajou, le Sénégal se donne les moyens de réorienter une filière stratégique vers un modèle plus souverain, plus équitable et plus durable. Le défi reste immense, notamment en termes d’infrastructures et de formation, mais la dynamique enclenchée offre une opportunité rare de relocaliser la valeur ajoutée. Reste à espérer que la saison agricole à venir soit au rendez-vous, pour que cette nouvelle politique puisse pleinement déployer ses effets. Dans un contexte africain de reconquête économique, le cajou pourrait bien devenir l’or brun du Sénégal.
Tony A.