C’est une onde de choc judiciaire qui traverse le Sénégal. Cinq anciens ministres de l’ex-président Macky Sall sont désormais dans le viseur de la justice pour leur rôle présumé dans la gestion opaque du Fonds Covid-19, un dispositif censé protéger les Sénégalais au plus fort de la pandémie. À cela s’ajoutent 27 autres personnalités inculpées, parmi lesquelles de hauts responsables du secteur public. Ce jeudi 17 avril, le procureur général près la cour d’appel de Dakar a confirmé que « de graves présomptions de détournement de deniers publics » pèsent sur ces ex-ministres, ouvrant la voie à de possibles poursuites devant la Haute Cour de justice.
L’affaire, bien que prévisible depuis le rapport accablant de la Cour des comptes en 2022, marque un tournant dans l’histoire judiciaire du pays. Elle illustre un moment d’alignement rare entre exigence citoyenne de transparence et action judiciaire, et elle pourrait bien redéfinir les contours de l’impunité au sein des élites politiques sénégalaises. Mais derrière les procédures, c’est aussi toute une architecture de gouvernance défaillante qui se trouve exposée.
Fonds Covid-19 : de la solidarité nationale au pillage systémique
Créé pour soutenir les populations et renforcer le système de santé face au choc pandémique, le Fonds Covid-19 devait symboliser la résilience nationale. Alimenté à hauteur de 700 milliards de FCFA par l’État et des bailleurs internationaux, il avait pour ambition de fournir des aides alimentaires, du matériel médical et du soutien économique. Or, selon le rapport de la Cour des comptes, ce mécanisme de secours a été, pour certains, une opportunité de prédation.
Surfacturations, achats douteux, irrégularités comptables… Le riz destiné aux plus démunis acheté à des prix gonflés en est un exemple criant. Au lieu d’être un filet de sécurité, ce Fonds Covid-19 est devenu, pour certains gestionnaires, une rente de situation. Ce détournement, en pleine crise sanitaire, a un coût moral immense. Il a entamé la confiance entre l’État et ses citoyens, et renforcé un sentiment d’injustice sociale.
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Un test politique pour les nouvelles autorités
Le déclenchement des poursuites dans cette affaires de Fonds Covid-19 arrive dans un climat politique particulier. C’est à dire l’installation récente d’un nouveau président, Bassirou Diomaye Faye, élu sur une promesse de rupture, d’intégrité et de justice. L’ouverture de ce dossier explosif pourrait donc servir de test grandeur nature pour les nouvelles autorités : sauront-elles aller jusqu’au bout de la logique judiciaire sans céder à des compromis politiques ?
D’autant que l’Assemblée nationale devra statuer sur la saisine de la Haute Cour de justice, seul organe compétent pour juger les anciens ministres dans l’exercice de leurs fonctions. Ce passage parlementaire s’annonce décisif .Il mettra à l’épreuve la volonté de rupture affichée par les nouveaux élus et révélera les éventuelles lignes de fracture entre ancien et nouveau système. Enfin, cette affaire relance le débat sur la gouvernance des fonds d’urgence. La pandémie a exposé les limites des systèmes de contrôle et de redevabilité dans des contextes exceptionnels. Une réforme en profondeur de ces mécanismes s’impose si le pays veut tourner la page de l’impunité.
L’affaire du Fonds Covid-19 au Sénégal dépasse de loin une simple opération judiciaire. elle pose des questions fondamentales sur la manière dont les ressources publiques sont administrées en période de crise. Elle révèle aussi les failles d’un modèle de gouvernance où la solidarité est parfois détournée au profit d’intérêts privés. En décidant de traiter ce dossier avec rigueur, la justice sénégalaise envoie un signal fort : celui d’un pays qui veut rompre avec la culture du silence et de l’impunité. Mais l’issue dépendra aussi de la capacité du pouvoir politique à accompagner cette dynamique sans faillir. Le peuple sénégalais, lui, regarde et attend.
Tony A.