Sur les terres arides de Sfax, à l’est de la Tunisie, des silhouettes errantes s’accrochent à l’espoir malgré la précarité extrême. Depuis le démantèlement de plusieurs campements de migrants subsahariens début avril, des centaines d’hommes, femmes et enfants vivent dans des conditions de fortune, chassés d’un endroit à un autre, s’abritant tant bien que mal sous les oliviers ou des tentes bricolées. La stratégie des autorités tunisiennes, qui vise à démanteler systématiquement ces campements pour dissuader l’installation durable, semble désormais atteindre ses limites, tant la détermination des migrants reste forte.
Face à une population migrante résiliente, la Tunisie se retrouve prise en étau entre les exigences européennes de contrôle des flux migratoires, les pressions locales liées aux tensions sociales croissantes, et l’impératif humanitaire. Au lieu d’endiguer le phénomène, les démantèlements alimentent une spirale de précarité et d’errance qui pourrait se transformer en véritable crise humanitaire aux portes de l’Europe.
Une politique de démantèlement inefficace contre les migrants
Depuis des mois, la Tunisie mise sur la fermeté : destruction des camps, expulsions ponctuelles, interdictions d’occupation des lieux publics. Mais cette logique répressive ne semble ni décourager les migrants ni juguler les flux. Le récit de Nadine, Camerounaise, et de Souleymane, Ivoirien, tous deux déplacés à plusieurs reprises, illustre l’absurdité de cette politique. « On casse, on nous jette, on nous tabasse », raconte
Nadine, qui dort désormais à même le sol sous des oliviers. Le harcèlement répété ne fait que déplacer le problème, sans jamais le résoudre.
Pire encore, ces actions nourrissent un climat de tension avec les populations locales. Si les autorités espèrent ainsi apaiser les communautés tunisiennes qui dénoncent la présence de migrants, elles prennent le risque d’alimenter les xénophobies latentes et de renforcer les discours d’exclusion. La souffrance des migrants devient alors un instrument de communication politique, une démonstration de « fermeté » destinée à rassurer Bruxelles plus qu’à bâtir une solution durable.
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Le pari à tout prix pour l’Europe
Ce qui frappe dans ces témoignages, c’est l’incroyable résilience des migrants. « Personne n’a payé mon transport pour que je retourne », affirme Souleymane, déterminé à atteindre l’Italie malgré les épreuves. La Tunisie n’est pour eux qu’un sas, une zone de transit, aussi hostile soit-elle. Le retour en arrière n’est pas envisageable, tant les sacrifices déjà consentis sont lourds. Pour beaucoup, rester et survivre dans les oliveraies est moins absurde que d’abandonner le rêve européen.
Cette réalité illustre un paradoxe majeur : les politiques de dissuasion ne font que renforcer l’obsession du départ. L’Europe reste la ligne d’horizon, quel qu’en soit le prix. Tant que les pays d’origine ne pourront garantir une alternative crédible, tant que les filières migratoires existeront, et tant que le désespoir l’emportera sur la peur, les démantèlements tunisiens resteront vains.
Le cas tunisien démontre une fois de plus que la migration ne peut être freinée durablement par des murs invisibles faits de bâches arrachées, de campements brûlés et de menaces policières. En s’attaquant aux symptômes sans traiter les causes profondes, la stratégie actuelle se condamne à l’échec. Il est urgent que la Tunisie, avec le soutien de ses partenaires européens, élabore une politique plus humaine, plus lucide et plus efficace. Car à Sfax, sous les oliviers, c’est bien la dignité humaine qui se joue et l’avenir de toute une politique migratoire méditerranéenne.
Tony A.