Six ans après avoir quitté le pouvoir et une année d’exil en Afrique du Sud, l’ancien président Joseph Kabila annonce son retour imminent en République démocratique du Congo. Dans une déclaration écrite datée du 8 avril, il justifie cette décision par la « gravité » de la situation sécuritaire et institutionnelle, qu’il qualifie de « hors de contrôle ». Ce retour, qu’il dit motivé par le devoir patriotique, laisse planer une question fondamentale : que révèle cette sortie du silence de l’ancien chef de l’État sur l’état actuel du leadership en RDC ?
Le timing de cette annonce n’est pas anodin. Le pays traverse une période de turbulence marquée par une insécurité persistante dans l’Est, un bras de fer entre institutions, et une recomposition politique en cours après les législatives. Joseph Kabila, dont le silence avait été interprété par certains comme un retrait définitif de la vie politique, choisit désormais de revenir « sans délai », par l’Est du pays, là où la guerre fait rage et où le pouvoir de Kinshasa paraît de plus en plus contesté. Son retour ne dit pas seulement quelque chose de lui-même : il interroge l’état de la gouvernance actuelle, et la place laissée vacante par les autorités face aux défis majeurs.
Une opportunité politique pour Joseph Kabila ?
Le choix de Joseph Kabila de débuter son retour par l’Est n’est pas que géographique, il est symbolique. C’est dans cette région meurtrie par les affrontements entre les FARDC et les groupes armés, notamment l’AFC/M23, que l’autorité de l’État est la plus affaiblie. Le message est clair : là où le pouvoir central échoue à rassurer, Joseph Kabila entend se présenter en recours. Une manœuvre subtile, qui pourrait rallier une partie de la population désabusée, voire certains acteurs politico-militaires.
L’ambiguïté de son entourage sur une éventuelle alliance avec l’AFC/M23 ajoute à l’inquiétude. Sans la confirmer, ils ne l’excluent pas. Dans une région où les lignes de front sont aussi politiques qu’ethniques, le simple fait d’agiter cette possibilité pourrait rebattre les cartes. Kabila, artisan du rapprochement sino-congolais, mais aussi familier des réseaux sécuritaires et régionaux, dispose encore de relais solides, que ce soit au sein des forces armées ou dans les chancelleries africaines.
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Un retour qui bouscule Kinshasa et réactive le PPRD
Le retour annoncé de Joseph Kabila intervient au lendemain de la rentrée politique de son parti, le PPRD, qui vient de rejeter l’appel du président Félix Tshisekedi à intégrer un gouvernement d’union nationale. En revenant, Kabila envoie un double signal : d’une part, il légitime l’opposition de son camp à toute forme de coalition gouvernementale ; d’autre part, il redevient acteur du jeu, au moment où le pouvoir cherche à élargir sa base politique pour faire face à une législature complexe.
Ce retour réactive également des dynamiques internes. En se positionnant depuis l’Afrique du Sud comme intellectuel travaillant sur une thèse sur les relations sino-congolaises, Kabila a entretenu son aura d’homme d’État au-dessus de la mêlée. Mais son silence prolongé avait aussi nourri les fractures au sein de sa famille politique. En revenant, il renoue les fils du contrôle, tout en envoyant un message à ses adversaires : le sphinx de Kingakati n’a pas dit son dernier mot.
Le retour de Joseph Kabila ne peut être analysé uniquement comme un geste patriotique face à une situation sécuritaire catastrophique. Il est aussi le symptôme d’un vide de leadership dans certaines régions, et d’un affaiblissement du pouvoir central. Si Kabila ne donne pas encore de feuille de route claire, son simple retour suffit à reconfigurer l’échiquier politique. Reste à savoir s’il s’agit d’un come-back temporaire, d’un baroud d’honneur… ou du prélude à une nouvelle ambition.
Tony A.