Samedi dernier, plus de 1 100 migrants ont été expulsés d’Algérie vers le Niger en une seule journée, abandonnés aux portes du désert, livrés à la fournaise sahélienne et à l’incertitude. C’est un chiffre sans précédent qui illustre non seulement le durcissement des politiques migratoires algériennes, mais surtout le naufrage silencieux de la protection des droits humains sur les routes migratoires africaines.
À la frontière algéro-nigérienne, dans ce que l’on surnomme le « point zéro », l’humanité semble s’arrêter net. Ces 1 140 personnes, pour la plupart originaires d’Afrique subsaharienne et du Bangladesh, ont dû marcher plusieurs kilomètres en plein désert, sous une chaleur écrasante, pour rejoindre Assamaka, première localité nigérienne. Certaines n’y parviennent jamais. D’autres arrivent déshydratées, traumatisées, épuisées. Et pourtant, ces scènes, désormais banalisées, sont devenues quasi routinières sur cet axe migratoire.
Une politique de l’ombre, en plein désert
Depuis plusieurs années, l’Algérie renforce discrètement sa politique de « nettoyage migratoire », sans rendre de comptes officiels, ni aux ONG, ni aux institutions internationales. En 2024, plus de 30 000 personnes ont déjà été expulsées. Le pic atteint en avril, avec 4 000 expulsés arrivés à Assamaka, montre une volonté assumée de faire pression à travers des expulsions massives, souvent en dehors de tout cadre juridique clair.
En réalité, Alger agit à la croisée des pressions internes (sécurité, emploi, xénophobie) et externes. L’Union européenne, tout en restant silencieuse, bénéficie indirectement de cette stratégie de blocage migratoire à ses portes. Le Niger, lui, endosse le rôle ingrat de zone tampon, malgré son instabilité politique. Pris entre devoir humanitaire et manque de moyens, il devient le dernier rempart d’un système d’exclusion délégué à ses frontières.
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Le drame humain derrière les chiffres
À Assamaka, les ONG comme Alarme Phone Sahara tirent la sonnette d’alarme sur ces drames en plein désert. Les personnes expulsées vivent dans des conditions indignes, manquant de nourriture, de soins, et de perspectives. Si certains migrants tentent à nouveau leur chance vers le nord, beaucoup finissent par demander l’assistance de l’OIM pour un retour volontaire. Mais ces démarches prennent du temps, et les ressources sur place sont insuffisantes pour gérer de tels flux.
Au-delà de l’urgence humanitaire, cette crise interroge la gestion globale des migrations en Afrique. L’absence de corridors humanitaires sûrs, la marginalisation croissante des migrants en transit, et le silence complice de nombreux États montrent que les migrations africaines ne sont pas un problème de chiffres, mais une question de dignité humaine, systématiquement piétinée.
Ce qui se joue à la frontière algéro-nigérienne n’est pas une simple crise migratoire. C’est le miroir d’un monde où des milliers de vies peuvent être abandonnées en plein désert, sans écho ni réaction internationale. Derrière chaque expulsion se cache une histoire, un rêve, une vie bouleversée. Si rien n’est fait, le « point zéro » restera bien plus qu’un lieu : il deviendra le symbole d’une politique migratoire sans boussole, où l’humain ne compte plus.
Sandrine A.