À 92 ans, Paul Biya semble décidé à prolonger l’histoire déjà exceptionnelle d’un règne présidentiel entamé en 1982. À l’approche de la présidentielle d’octobre 2025, ses déclarations publiques se multiplient, laissant entrevoir une volonté de se représenter. La dernière en date, publiée sur X le 23 avril, évoque sa volonté de continuer « à perpétuer une profonde mutation sociale », confirmant un discours devenu progressivement plus affirmatif. Comme une boucle narrative, chaque sortie du président ramène à la même question : l’histoire politique du Cameroun est-elle condamnée à rester suspendue au sort d’un seul homme ?
Dans un pays marqué par une stabilité institutionnelle apparente mais un pluralisme verrouillé, cette perspective de candidature n’étonne guère. Pourtant, elle cristallise des tensions profondes : lassitude d’une partie de l’opinion, frustration au sein même du RDPC, et colère dans les rangs de l’opposition. La question n’est donc plus de savoir si Paul Biya va se représenter, mais plutôt ce que cette éventualité révèle d’un système qui semble se survivre à lui-même.
Une stratégie d’annonce par effleurements de Paul Biya
Depuis plusieurs mois, Paul Biya adopte une communication en filigrane, distillant des messages suggestifs à chaque discours clé : vœux présidentiels, fête de la jeunesse, et désormais réseaux sociaux. Ce choix d’une stratégie d’annonces progressives permet d’habituer l’opinion à une continuité politique, tout en étouffant le débat interne au RDPC. Le parti, fidèle à sa tradition, a d’ailleurs déjà entériné sa candidature, confirmant que sans Biya, il n’y a pas de plan B.
Mais cette tactique de communication camoufle mal une tension sourde au sein du régime. Plusieurs voix, encore discrètes, au sein du RDPC expriment leur impatience face à l’immobilisme du leadership. Derrière la façade d’unanimité, les ambitions personnelles et les attentes d’une relève générationnelle se heurtent à la longévité politique du chef de l’État. La stratégie de Biya, bien que rôdée, pourrait ainsi créer un vide difficilement gérable à terme.
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Un verrou générationnel et démocratique
Le maintien au pouvoir de Paul Biya indique une problématique de renouvellement générationnel. Une majorité de Camerounais n’a connu que sa présidence. Alors que le pays regorge de jeunes talents et fait face à des défis nouveaux (transition numérique, changement climatique, modernisation économique), une telle continuité à la tête de l’État pourrait ralentir les réformes nécessaires.
L’opposition, de son côté, s’indigne. Maurice Kamto du MRC qualifie cette probable candidature de « criminelle », pendant que certains prélats de l’Église catholique plaident pour une passation pacifique et historique. Mais leur influence sur le cours des événements reste limitée dans un système où les institutions sont fortement personnalisées. L’implication internationale est elle aussi discrète, alors même que le Cameroun joue un rôle stabilisateur en Afrique centrale. Ce silence diplomatique, souvent motivé par des intérêts sécuritaires ou économiques, conforte la posture du président et lui permet d’inscrire sa longévité comme un gage de stabilité.
À moins de six mois de l’échéance électorale, le Cameroun semble s’enliser dans un cycle répétitif où chaque scrutin devient un simple renouvellement de l’existant. La probable candidature de Paul Biya pose la question fondamentale : peut-on construire l’avenir d’une nation sans jamais tourner la page de son passé ? Au-delà des critiques, c’est tout un système politique, institutionnel et générationnel qui semble incapable de se réinventer. Une situation qui fait du Cameroun un cas à part dans l’histoire contemporaine des transitions démocratiques en Afrique.
Tony A.