À Yokohama, le 20 août 2025, le Japon a donné un signal fort en direction du continent africain. Lors de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), le Premier ministre Shigeru Ishiba a proposé la création d’une vaste « zone économique englobant l’océan Indien et l’Afrique », projet inédit qui ambitionne de remodeler les flux commerciaux et d’accélérer l’intégration régionale. Devant 49 chefs d’État et de gouvernement africains, Tokyo s’est affirmé comme un partenaire stratégique alternatif aux puissances déjà présentes, en particulier la Chine.
Cette annonce intervient dans un contexte où le Japon sort lentement de décennies de déflation et cherche de nouveaux relais de croissance. En misant sur l’Afrique, Shigeru Ishiba envoie un double message : à ses entreprises, qu’il veut plus offensives à l’international, et aux États africains, qu’il invite à diversifier leurs partenariats. Au-delà des promesses, l’initiative japonaise illustre une recomposition géopolitique majeure où l’Afrique n’est plus un simple terrain d’influence, mais un acteur central des nouvelles routes de l’économie mondiale.
Une stratégie économique du Japon pour contrer la Chine
L’Afrique représente aujourd’hui un marché en pleine expansion, riche en ressources naturelles et en jeunesse. Depuis deux décennies, Pékin y a creusé un sillon profond, devenant le premier partenaire commercial du continent. Face à cette hégémonie, le Japon veut tracer une alternative. Shigeru Ishiba n’a pas caché son intention. Il s’agit en effet de réduire la dépendance de l’Afrique envers la Chine en stimulant les investissements japonais, y compris via des relais stratégiques en Inde et au Moyen-Orient.
Cette stratégie repose sur un levier clé, notamment l’intégration régionale. Pour Tokyo, une zone économique connectant l’océan Indien à l’Afrique permettrait de fluidifier les échanges, de sécuriser les corridors logistiques et d’ouvrir de nouveaux débouchés à ses entreprises. Derrière le discours sur la coopération, il s’agit bien d’une bataille d’influence où le Japon tente de se positionner comme un « partenaire de confiance », misant sur la transparence et le transfert de compétences, là où la Chine est critiquée pour l’opacité de ses contrats et l’endettement des États africains.
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L’innovation numérique comme vecteur d’influence
Mais la vision japonaise va au-delà des infrastructures physiques. L’un des volets les plus ambitieux du plan dévoilé à Yokohama concerne la numérisation du continent. Tokyo a annoncé l’introduction de cours d’intelligence artificielle dans les universités africaines, visant à former 300 000 étudiants dans des secteurs stratégiques comme l’agriculture, la logistique ou l’industrie. À travers cette initiative, le Japon cherche à imprimer sa marque dans la formation des futures élites africaines, un terrain sur lequel ni la Chine ni les États-Unis ne se sont encore imposés durablement.
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Cet engagement intervient alors que Washington réduit son aide extérieure, laissant un vide que Tokyo entend combler. Pour l’Afrique, le pari est double : bénéficier de transferts de technologie sans retomber dans une dépendance exclusive, tout en exploitant les rivalités entre grandes puissances pour maximiser les gains. Le défi pour les dirigeants africains sera d’éviter que cette ouverture devienne un nouveau champ de compétition géopolitique qui fragilise davantage leurs souverainetés économiques.
Avec la proposition d’une zone économique reliant l’Afrique à l’océan Indien, le Japon tente de redéfinir les équilibres mondiaux en s’appuyant sur le dynamisme africain. Plus qu’une simple alternative à la Chine, Tokyo offre une vision où le développement du continent se conjugue avec innovation, éducation et connectivité régionale. Mais l’Afrique n’est pas condamnée à choisir un camp. Son poids croissant lui donne désormais la possibilité de dicter ses conditions. À Yokohama, l’enjeu n’était donc pas seulement la relance japonaise, mais bien la confirmation que l’avenir de l’économie mondiale se joue, de plus en plus, en Afrique.
Tony A.

