Depuis le week-end dernier, les utilisateurs de X (anciennement Twitter) et TikTok en République Démocratique du Congo (RDC) se retrouvent dans l’impossibilité d’accéder à ces plateformes dans plusieurs grandes villes du pays. Officiellement non confirmée par les autorités, cette restriction vise, selon les observateurs, à limiter la propagation de fausses informations sur le conflit qui sévit dans l’est du pays. Pourtant, cette coupure risque d’avoir des effets contre-productifs, exacerbant la méfiance et alimentant davantage la guerre de l’information.
Dans des villes comme Goma, Bukavu, Lubumbashi ou encore Kinshasa, la suspension soudaine des réseaux sociaux a surpris de nombreux internautes. Certains ont rapidement trouvé des alternatives en utilisant des VPN, tandis que d’autres ont dû se résigner à une absence d’accès, nourrissant interrogations et spéculations. La mesure s’accompagne d’une restriction de Google Play Store, rendant plus difficile le téléchargement d’outils de contournement, une décision qui interroge sur les véritables intentions du gouvernement congolais.
Un double enjeu : contrôle de l’information et stratégie politique
Dans un contexte de crise sécuritaire, les gouvernements ont souvent recours à des restrictions d’accès aux plateformes numériques pour limiter la circulation de rumeurs et de désinformation. La RDC ne fait pas exception. Les autorités cherchent ainsi à éviter que des fausses nouvelles n’attisent les tensions et n’aggravent l’insécurité.
Cependant, une telle mesure pourrait aussi relever d’une stratégie politique. En période de conflit, maîtriser le flux d’information est un levier puissant. En empêchant la diffusion de certaines données sensibles sur la guerre dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, Kinshasa cherche à garder la main sur le récit officiel. Pourtant, cette approche comporte des risques, notamment celui de voir la population se tourner vers des sources alternatives, moins fiables, et d’accentuer le sentiment de méfiance à l’égard du pouvoir.
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L’un des paradoxes de cette coupure des réseaux sociaux est qu’elle pourrait produire l’effet inverse de celui escompté. En privant les citoyens d’informations officielles et vérifiées, elle laisse le champ libre aux spéculations et à la désinformation via d’autres canaux. Comme le souligne Qemal Affagnon, coordinateur de l’ONG Internet sans frontières en Afrique de l’Ouest, « les gens ont besoin d’informations pour se rassurer. Mais couper Internet, c’est une mesure qui facilite la circulation de toutes sortes de rumeurs ».
En outre, cette restriction affecte directement la vie quotidienne des Congolais. TikTok, notamment, ne se limite pas à un rôle d’information ; pour de nombreux habitants, il représente aussi un espace de divertissement et de décompression en temps de crise. En empêchant l’accès à ces plateformes, le gouvernement fragilise davantage le moral de la population, déjà éprouvée par les violences dans l’est du pays.
Un équilibre difficile
L’argument de la sécurité nationale est souvent avancé pour justifier ce type de restrictions. Pourtant, dans une ère où l’information est instantanée et décentralisée, la coupure des réseaux sociaux apparaît comme une mesure inefficace à long terme. Le cas de la RDC illustre bien cette complexité : si la lutte contre la désinformation est nécessaire, elle ne peut se faire au détriment du droit à l’information.
Des alternatives existent. Plutôt que d’imposer des coupures brutales, les autorités pourraient renforcer les campagnes de sensibilisation sur la vérification des informations, en collaboration avec des médias locaux et des plateformes de fact-checking comme Balobaki. Une approche plus transparente permettrait non seulement de limiter la diffusion de fausses nouvelles, mais aussi de renforcer la confiance du public envers les institutions.
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Tandis que le conflit dans l’est de la RDC continue d’alimenter la guerre de l’information, la suspension de X et TikTok pose un dilemme majeur : garantir la stabilité tout en respectant la liberté d’accès à l’information. Si l’intention de limiter la propagation des fausses nouvelles peut sembler légitime, l’approche adoptée par Kinshasa fait réfléchir sur son efficacité réelle et son impact sur la population. L’enjeu dépasse largement le cadre congolais. À l’heure où les réseaux sociaux sont devenus des vecteurs majeurs de communication et d’expression citoyenne, leur restriction ponctuelle ou prolongée pourrait avoir des conséquences profondes sur la perception du pouvoir en place et sur la gestion des crises à venir. Reste à voir si le gouvernement congolais maintiendra cette position ou optera pour une stratégie plus inclusive, respectueuse des libertés fondamentales et de l’intelligence collective des citoyens.
Tony A.