Ce geste marque un tournant stratégique majeur dans la gouvernance du secteur minier guinéen, pilier central de l’économie nationale. Le vendredi 9 mai 2025, la junte guinéenne a frappé fort. Par une série de décrets signés du général Mamadi Doumbouya, lus à la télévision nationale, deux sociétés minières Kébo Energy et Guiter Mining ont vu leurs permis d’exploitation purement et simplement annulés. Pour l’instant, les raisons officielles restent floues ou parcellaires.
Dans un contexte de forte dépendance aux ressources naturelles, notamment la bauxite et les diamants, cette décision invite à se poser des questions fondamentales : s’agit-il d’un retour à l’ordre, d’un bras de fer politique, ou d’une volonté de souveraineté économique renforcée ? Au-delà des entreprises directement touchées, c’est tout l’écosystème minier, local et international, qui scrute désormais avec inquiétude les intentions du pouvoir de Conakry.
Une reprise en main musclée du secteur minier
Le cas de Kébo Energy illustre une posture de plus en plus intransigeante des autorités face aux retards d’exécution. Associée à un partenaire chinois, la société opérait sur la zone bauxitique de Boffa, mais le projet n’était toujours pas entré en phase de production. Ce blocage prive l’État de revenus stratégiques. La junte, en quête de rentrées fiscales rapides, semble désormais peu encline à faire preuve de patience.
Quant à Guiter Mining, spécialisée dans l’exploitation de diamants et de gravier dans le sud-est, elle est sanctionnée pour non-respect du code minier. Si cette justification reste classique sur le papier, elle prend une toute autre dimension dans le climat actuel. Le retrait de son permis semble faire figure d’avertissement généralisé adressé aux autres compagnies opérant en Guinée : aucun manquement, même mineur, ne sera plus toléré.
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Un levier de pression politique et économique sur les majors
Ce durcissement de ton ne s’arrête pas aux petites et moyennes entreprises locales. Il s’étend désormais aux géants internationaux, en particulier la Guinea Alumina Corporation (GAC), filiale de l’émirienne Emirates Global Aluminium (EGA). Selon plusieurs sources, les autorités guinéennes ont donné un ultimatum de 45 jours à l’entreprise pour lancer la construction d’une raffinerie locale de bauxite, projet pourtant différé depuis plusieurs années.
Avec plus de 2 000 emplois et un investissement estimé à 3 milliards de dollars, EGA est un acteur-clé du tissu économique guinéen. Mais ce n’est pas un totem d’immunité. La junte entend visiblement contraindre les entreprises étrangères à renforcer la transformation locale des ressources, afin d’augmenter les retombées pour le pays. Le retrait de permis devient ainsi une arme de régulation, mais aussi de négociation économique et politique.
Derrière les annulations de permis annoncées début mai, c’est une stratégie de reconfiguration du pouvoir minier qui se dessine. La junte guinéenne, en quête de légitimité et de résultats rapides, cherche à imposer une nouvelle gouvernance, où la souveraineté économique passe par une application rigoureuse voire implacable du code minier. Si cette volonté de faire respecter les règles est saluée par certains, elle inquiète aussi, tant les méthodes employées peuvent être perçues comme brutales ou unilatérales. Reste à savoir si ce coup de force permettra réellement de rebattre les cartes au profit d’un développement minier plus équitable, ou s’il aboutira à fragiliser la confiance des investisseurs dans un pays pourtant riche en promesses géologiques. La junte joue gros entre ambition nationale et pression internationale, l’équilibre s’annonce délicat.
Tony A.

