Les rues de Nairobi et d’autres grandes villes du Kenya vibrent à nouveau sous les pas et les cris d’une jeunesse déterminée à en finir avec ce qu’elle considère comme une trahison politique. Deux ans à peine après son arrivée au pouvoir, William Ruto, cinquième président du Kenya, fait face à une contestation qui ne faiblit pas. Derrière le slogan « WANTAM » contraction de « One Term President » se dessine un profond ras-le-bol vis-à-vis d’un leader élu sur la promesse d’un « bottom-up economy » censé améliorer le sort des plus précaires, mais qui, aux yeux de nombreux Kényans, s’est vite mué en fardeau fiscal.
Si la contestation avait déjà pris une ampleur inédite l’année dernière, provoquant émeutes et incendie partiel du parlement, l’étincelle récente est venue de la mort tragique d’un blogueur en détention. Dans l’esprit de nombreux jeunes, cet épisode symbolise une gouvernance sourde, muselant les voix discordantes tout en renforçant la mainmise sur l’appareil sécuritaire. La promesse de Ruto de rendre le pouvoir aux « hustlers » semble aujourd’hui bien loin.
L’impôt comme catalyseur d’une fracture générationnelle
Au cœur de la colère, le régime fiscal mis en place depuis 2022 cristallise tous les ressentiments. Pour beaucoup, ces hausses de taxes représentent non seulement une érosion du pouvoir d’achat mais surtout une trahison morale. « Le système ne nous aidera jamais et ne changera rien », déplore Peter Kairu, étudiant désabusé, exprimant une résignation mêlée d’un appel à l’action citoyenne.
La génération Z et les milléniaux, déjà confrontés à un chômage endémique, estiment être les grands perdants de ces réformes. Eileen Muga, enseignante sans emploi, exprime également ce sentiment d’exclusion : « Dès que vous critiquez, vous disparaissez. » Pour ces jeunes, la verticalité du pouvoir, incarnée par un président jugé autoritaire, accentue le fossé entre la base et les élites. Le discours « pro-pauvres » de campagne a laissé place à la perception d’un État sourd et répressif, prêt à faire taire toute voix dissonante.
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Désillusion et quête de renouveau politique
Cette contestation, bien plus qu’un simple rejet de la fiscalité, révèle la maturité politique d’une jeunesse qui aspire à se réapproprier le débat public. Les pancartes « WANTAM » ne sont pas qu’un slogan. Elles traduisent une volonté de se projeter au-delà des clivages partisans, vers une redéfinition du contrat social et de la démocratie kenyane.
Pour Eric Nakhurenya, analyste politique, « la rhétorique de l’économie ascendante s’est volatilisée dès l’arrivée de Ruto au pouvoir ». Cette désillusion nourrit une exigence de redevabilité et de transparence qui pourrait redessiner le paysage politique en 2027. Ruto doit désormais gérer une contestation qui échappe aux anciennes formes de clientélisme. Entre réseaux sociaux, mouvements étudiants et activistes civiques, la mobilisation ne se limite plus aux partis traditionnels. Ce renouvellement des formes de résistance pourrait, à terme, accoucher de nouvelles figures politiques, plus proches des réalités socio-économiques de la jeunesse.
Crise gouvernementale au Kenya : le président Ruto en difficulté après le remaniement
Un mandat fragilisé, une jeunesse plus éveillée contre Ruto
À trois ans de l’échéance électorale, William Ruto navigue à vue dans un climat de suspicion généralisée et de colère latente. Les récents incidents ne font que raviver un malaise social profondément enraciné dans les inégalités et la gouvernance jugée opaque. Si le pouvoir choisit la répression comme unique réponse, il risque d’alimenter une radicalisation de la contestation. À l’inverse, une écoute réelle de cette génération désillusionnée pourrait ouvrir la voie à une réconciliation politique, plus horizontale et inclusive. Pour l’heure, la jeunesse kényane semble bien décidée à rappeler à ses dirigeants que la rue reste, parfois, plus puissante qu’un palais présidentiel.
Sandrine A.

