Un ancien Premier ministre interpellé sans explication, à l’aube, chez lui. Ce vendredi 16 mai 2025, l’arrestation de Succès Masra, président du parti d’opposition Les Transformateurs et ex-chef du gouvernement tchadien, a provoqué un séisme dans le paysage politique national. Si les autorités judiciaires évoquent l’existence d’un mandat d’amener, aucun motif précis n’a encore été communiqué, laissant place à toutes les hypothèses, les plus politiques en tête.
Ce coup de force intervient dans un contexte de tensions croissantes autour du processus de transition censé mener à un ordre constitutionnel stable. En nommant en janvier 2024 son ancien opposant Premier ministre, Mahamat Idriss Déby Itno avait surpris, semblant ouvrir la voie à un dialogue inclusif. Mais cette arrestation, musclée et opaque, sonne comme une rupture d’équilibre fragile et interroge sur la sincérité du processus de réconciliation politique.
Une arrestation aux allures de purge politique ?
L’interpellation de Succès Masra rappelle les pratiques autoritaires des régimes que l’opposition n’a cessé de dénoncer une intervention à l’aube, des hommes en armes, l’absence de communication officielle sur les charges, et une destination inconnue. L’image d’un leader de parti démocratique arrêté sans ménagement dans sa propre maison a fait rapidement le tour des réseaux sociaux et médias internationaux, alimentée par une vidéo diffusée par Les Transformateurs.
Ce climat d’opacité alimente la thèse d’une arrestation politiquement motivée. Les déclarations récentes de Masra notamment sa critique virulente du président Déby, qu’il accuse d’avoir trahi l’esprit de l’accord de Kinshasa et de maintenir un statu quo nuisible peuvent être perçues comme la véritable raison de cette interpellation. Si tel est le cas, il s’agirait d’un signal inquiétant envoyé à toute voix dissidente dans un pays déjà fragilisé par les tensions communautaires, militaires et institutionnelles.
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Transition démocratique ou retour à l’autoritarisme ?
Cette arrestation interroge sur la réalité de la transition tchadienne. Nommé en janvier 2024, après un long exil, Masra incarnait pour beaucoup une tentative d’ouverture du pouvoir à l’opposition. Mais sa démission quelques mois plus tard, suivie d’une alternance entre critiques et appels à la collaboration, traduisait une tension persistante entre façade de concertation et centralisation autoritaire du pouvoir.
Le silence des autorités sur les motivations et les conditions de détention de Masra, couplé à la brutalité de l’intervention, ravive les doutes sur la volonté du régime de respecter les engagements pris lors des assises nationales ou via l’accord de Kinshasa. Si l’opposition perçoit désormais cette arrestation comme une mise en garde, le risque d’un retour au cycle des arrestations arbitraires, de la défiance politique et de la répression est réel.
L’affaire Masra pourrait devenir un tournant symbolique pour la transition tchadienne. Soit elle marque un durcissement assumé du régime face à l’opposition, auquel cas le processus démocratique en cours perd toute crédibilité ; soit elle provoque une mobilisation citoyenne et internationale pour exiger transparence, dialogue et respect des droits fondamentaux. Dans tous les cas, le président Déby est désormais face à une équation périlleuse. C’est à dire faire taire une voix dissidente ou prouver que le Tchad peut véritablement rompre avec ses vieux démons. À l’échelle régionale, ce dossier sera scruté comme un baromètre de la sincérité des transitions africaines post-conflit ou post-putsch.
Tony A.

