Le Kenya est une nouvelle fois secoué par une vague de manifestations qui, bien qu’initiée comme un rappel du mouvement citoyen de l’an passé, a pris une tournure dramatique. Entre les bâtiments incendiés, les victimes par balles et les accusations graves de tentative de coup d’État, le climat national s’alourdit. Le ministre de l’Intérieur, Kipchumba Murkomen, a jeté de l’huile sur le feu en affirmant que les manifestants visaient un renversement du pouvoir en place, au lendemain d’un soulèvement marqué par la colère de la jeunesse.
Loin de se réduire à un débordement incontrôlé, ces manifestations traduisent un malaise profond. Si l’élément déclencheur a été la mort d’un blogueur en garde à vue, l’embrasement reflète des tensions accumulées. On peut citer entre autres la défiance envers les institutions, le sentiment d’impunité des forces de l’ordre, et crise du coût de la vie. Ces protestations ne sont pas seulement des actes de rébellion mais les symptômes d’un déficit démocratique criant.
Manifestations, criminalisation du mécontentement ?
Qualifier les manifestations de tentative de « changement de régime » soulève de lourdes implications. En adoptant un ton martial, le gouvernement semble opter pour la délégitimation du mouvement plutôt que pour une écoute des revendications. Cette stratégie de criminalisation du mécontentement n’est pas nouvelle, mais elle devient plus risquée dans un pays où la jeunesse, surreprésentée dans la population, manifeste un rejet croissant des élites politiques.
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Les accusations officielles, selon lesquelles les manifestants visaient le Parlement et la State House, doivent aussi être examinées à l’aune de l’usage disproportionné de la force. Amnesty Kenya a recensé 16 morts par balles, tous apparemment dus à des tirs policiers. Ces chiffres pointent une dérive sécuritaire lors des manifestations et une inquiétante militarisation du maintien de l’ordre. La doctrine de la peur comme mode de gouvernance semble s’installer, au détriment du dialogue social.
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Une jeunesse en révolte, une démocratie sous pression
Le cœur des mobilisations kényanes bat au rythme de la jeunesse. Cette génération connectée, mobilisée et indignée refuse de rester spectatrice face aux dérives démocratiques. Ce n’est pas tant un coup d’État qu’elle appelle, mais un sursaut de justice, de transparence et de gouvernance éthique. Leur recours à la rue traduit une frustration face aux canaux institutionnels jugés inefficaces ou corrompus.
Dans ce contexte, les autorités ont le choix entre la répression continue et une réforme en profondeur. Ignorer cette colère reviendrait à accentuer la fracture sociale et à s’exposer à des soulèvements plus massifs à l’avenir. Il est temps pour le pouvoir kényan de repenser son rapport à la contestation : non comme une menace, mais comme un signal d’alarme légitime dans une démocratie en construction.
Tony A.