Dans une discrétion absolue, l’Afrique du Sud a déployé il y a une dizaine de jours plusieurs centaines de soldats et du matériel militaire à Lubumbashi, en République Démocratique du Congo. Un mouvement stratégique surprenant alors que le principal théâtre des combats contre le M23 se situe à plus de 1 700 km de là, dans l’Est du pays. Ce renfort s’ajoute aux 2 700 soldats sud-africains déjà présents dans le cadre de la mission de la SADC (SAMIRDC) et de la Monusco.
Si Pretoria reste mutique, la presse et certains responsables politiques sud-africains ont confirmé la présence de 700 à 800 militaires à Lubumbashi, provoquant des interrogations sur l’objectif réel de cette mission. La Commission de défense du Parlement sud-africain n’a même pas été informée de ce déploiement, une opacité qui inquiète certains élus comme le député Chris Hattingh.
Une stratégie militaire ou une présence dissuasive à Lubumbashi ?
Le positionnement de ces troupes à Lubumbashi interroge. Alors que la guerre fait rage dans les Kivus entre les Forces armées congolaises (FARDC) et le M23, soutenu par le Rwanda, pourquoi renforcer un point aussi éloigné du front ?
Certains analystes avancent l’hypothèse d’une stratégie préventive. Lubumbashi, capitale économique du Haut-Katanga, abrite d’importantes infrastructures minières et une communauté d’affaires internationale, notamment sud-africaine. Pretoria pourrait chercher à préserver ses intérêts économiques en RDC, alors que les tensions montent entre Kinshasa et Kigali.
D’autres experts considèrent que ce renforcement militaire pourrait avoir pour but de préparer une riposte face à une éventuelle détérioration de la situation sécuritaire. Une déstabilisation de la région métropolitaine de Lubumbashi menacerait les infrastructures minières et stratégiques, affectant directement les investissements sud-africains.
Ce déploiement intervient dans un contexte délicat pour l’Afrique du Sud. En janvier dernier, quatorze soldats sud-africains ont perdu la vie lors d’affrontements avec le M23 à Goma. Cet événement tragique a ravivé le débat en Afrique du Sud sur l’engagement militaire du pays en RDC, certains estimant que Pretoria ne devrait pas s’impliquer davantage dans un conflit complexe et coûteux. Ce renforcement discret pourrait donc être une tentative de réajuster la stratégie militaire sans provoquer de tollé politique interne. Toutefois, la transparence de Pretoria sur ses objectifs militaires est de plus en plus mise en cause. L’opposition sud-africaine dénonce un manque d’informations et un déploiement qui pourrait s’avérer risqué pour les soldats engagés.
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Kinshasa dans le flou
Du côté congolais, la discrétion est aussi de mise. Le porte-parole des FARDC, le général Sylvain Ekengé, a déclaré ne pas pouvoir « infirmer ni confirmer » l’information. Pourtant, des sources sécuritaires à Lubumbashi attestent de la présence de 400 soldats sud-africains, arrivés après une première vague de déploiement matériel.
L’absence de communication officielle alimente les spéculations. S’agit-il d’une simple rotation des effectifs ou d’un véritable repositionnement opérationnel ? La présence militaire sud-africaine en RDC étant déjà critiquée par certains partenaires régionaux, toute initiative non concertée pourrait créer des tensions supplémentaires.
L’implication de l’Afrique du Sud en RDC traduit une volonté de renforcer son rôle régional, mais à quel prix ? Pretoria, en tant que poids lourd diplomatique du continent, joue un équilibre fragile entre interventionnisme et prudence. Son engagement militaire dans la région des Grands Lacs est perçu à la fois comme une assistance stratégique et un pari risqué sur l’avenir de la stabilité congolaise.
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Face à une guerre qui s’intensifie dans l’Est, un manque de coordination avec les FARDC pourrait se retourner contre Pretoria. La discrétion observée sur ce déploiement pourrait signifier que l’Afrique du Sud cherche à minimiser les controverses, tout en maintenant une présence militaire en prévision d’un scénario encore plus chaotique.
Ce déploiement à Lubumbashi marque-t-il un tournant dans la stratégie militaire de l’Afrique du Sud en RDC ? S’agit-il d’une mesure de protection préventive, d’une opération logistique ou d’une anticipation d’une extension du conflit ?
En l’absence de communication officielle claire, la situation continue de susciter des interrogations. Ce flou alimente les tensions et renforce le climat d’incertitude autour de l’engagement sud-africain en RDC. Une chose est certaine : dans un contexte aussi volatile, chaque mouvement militaire est scruté avec attention, et Pretoria devra inévitablement justifier ses choix stratégiques devant son opinion publique et la communauté internationale.
Tony A.