À Johannesburg, ce n’est plus la pluie qui manque, mais l’eau potable. Dans la plus grande métropole d’Afrique du Sud, les coupures se multiplient, plongeant des quartiers entiers dans une sécheresse urbaine qui ne dit pas son nom. Ce week-end encore, des centaines d’habitants ont manifesté devant le siège du conseil municipal, exaspérés par une crise devenue quotidienne. Bouteilles remplies à ras bord, lessives en urgence, réserves improvisées, les habitants vivent désormais au rythme des robinets capricieux.
Derrière ces pénuries se cache une vérité plus profonde. Johannesburg paie aujourd’hui le prix d’un système vieillissant et d’une gouvernance municipale en panne d’efficacité. Des canalisations d’un autre âge, des réservoirs qui fuient, des budgets détournés, et une dette de maintenance qui frôle l’irréparable. La métropole, vitrine industrielle et financière de l’Afrique australe, découvre son talon d’Achille : une infrastructure hydraulique à bout de souffle.
Des infrastructures à la dérive À Johannesburg
Chaque jour, environ un tiers de l’eau distribuée à Johannesburg disparaît avant même d’atteindre les foyers. Fuites, branchements illégaux, tuyaux percés, la capitale économique du pays se vide par ses propres artères. Selon Johannesburg Water, près de la moitié des réservoirs de la ville fuient, certains depuis plus d’une décennie. L’usure des matériaux n’explique pas tout. Le manque d’entretien chronique et la lenteur des interventions traduisent une crise de gouvernance plus qu’une simple panne technique.
Sur le terrain, quelques travaux symboliques tentent de colmater les brèches. Comme à Hursthill, où des ouvriers s’affairent à relier le quartier à un autre réservoir plus stable. Mais ces chantiers ne sont qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins. « Ces quartiers sont très anciens, il faut tout renouveler, mais nous manquons de financement », reconnaît la porte-parole Nombuso Shabalala. L’année dernière, seuls 17 km de canalisations ont été remplacés sur les 12 000 que compte la ville, un chiffre dérisoire face à l’ampleur du défi.
À mesure que les tuyaux se fissurent, c’est aussi la confiance des habitants qui se délite. L’eau, ressource vitale et symbole de justice sociale en Afrique du Sud post-apartheid, devient un marqueur d’inégalités urbaines : certains quartiers aisés disposent encore d’une pression régulière, tandis que d’autres vivent dans la pénurie permanente.
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Mauvaise gestion et arbitrages politiques
Au-delà des infrastructures, c’est la gestion financière qui cristallise les critiques. Le constat est accablant : plus de 200 millions d’euros destinés à Johannesburg Water auraient été redirigés vers d’autres postes budgétaires, notamment les routes ou l’électricité. Une gymnastique comptable dénoncée par les syndicats et les activistes, à l’image de Ferrial Adam : « La ville déplace les financements comme si elle jouait aux échecs. Résultat : des chantiers interrompus, des entreprises impayées, et des habitants privés d’eau. »
Cette dérive budgétaire révèle un double paradoxe. D’un côté, l’État sud-africain multiplie les promesses d’investissement pour moderniser ses infrastructures. De l’autre, les municipalités peinent à les concrétiser, faute de gouvernance claire et de planification à long terme. Le Parlement a d’ailleurs appelé à cloisonner les fonds dédiés à l’eau afin d’éviter leur détournement vers d’autres secteurs. Mais tant que la transparence et la redevabilité ne seront pas restaurées, ces réformes risquent de rester lettre morte.
Le problème dépasse Johannesburg. Il illustre la vulnérabilité structurelle des grandes villes africaines confrontées à l’usure de leurs équipements hérités du XXᵉ siècle. Sans une refonte de la gestion urbaine, ces métropoles risquent de s’asphyxier sous le poids de leurs propres réseaux défaillants. La crise de l’eau à Johannesburg est plus qu’un simple dysfonctionnement technique. C’est une métaphore de la fragilité urbaine africaine. Une ville moderne, vibrante et connectée, mais incapable d’assurer à ses citoyens le service le plus élémentaire. Les habitants continuent de remplir leurs bouteilles, d’espérer que l’eau coule demain, pendant que les tuyaux rouillent et que les promesses s’évaporent. Si Johannesburg ne parvient pas à arrêter ses fuites celles de ses canalisations comme celles de sa gouvernance, elle risque de devenir la première métropole africaine à mourir… de soif.
Tony A.

