
L’échiquier politique guinéen traverse une période de turbulences alors que le délai imposé par la junte pour la mise en conformité des partis politiques arrive à son terme. Depuis octobre 2024, le ministère de l’Administration du territoire a déjà dissous 53 formations et placé une centaine d’autres sous observation, mettant ainsi sous pression l’ensemble du spectre politique national. Officiellement, cette démarche vise à « assainir » le fonctionnement des partis et à assurer une meilleure transparence, notamment sur leur financement et leur gouvernance interne.
Cependant, cette mesure suscite des interrogations et des inquiétudes. Les partis politiques d’opposition y voient une tentative de la junte dirigée par le colonel Mamadi Doumbouya d’écarter certains acteurs politiques en prévision d’une future normalisation politique. Alors que les formations proches du pouvoir tentent de se conformer aux nouvelles exigences, d’autres, à l’image de l’UFDG et de l’UFR, dont les leaders sont en exil, peinent à s’adapter à cette réorganisation imposée.
Une démarche officielle présentée comme une nécessité
Pour le gouvernement de transition, cette vaste opération de réorganisation s’inscrit dans un processus de mise en conformité des partis politiques avec la loi. Selon le ministère de l’Administration du territoire, aucun des 211 partis évalués en octobre 2024 ne respectait pleinement les critères requis. Parmi les principales lacunes relevées figurent l’opacité des sources de financement et l’absence de congrès internes réguliers pour plusieurs partis politiques.
Des partis comme le Parti de l’Espoir pour le Développement National (PEDN) ont tenté de se conformer aux nouvelles directives en organisant des congrès et en acceptant des audits financiers indépendants. Son porte-parole, Mohamed Cissé, reconnaît la nécessité d’une meilleure structuration des partis politiques, tout en insistant sur le fait que cette mise en ordre ne doit pas se faire au détriment de certaines formations.
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Une purge politique déguisée ?
Si l’initiative se présente comme un simple ajustement technique, elle est perçue par plusieurs observateurs comme un outil politique visant à affaiblir l’opposition. La dissolution d’un grand nombre de partis et la mise sous observation de formations historiques évoquent une stratégie de restriction de l’espace d’expression politique.
Les grands partis politiques d’opposition, à l’instar de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo et de l’Union des Forces Républicaines (UFR) de Sidya Touré, sont particulièrement visés. Le fait que leurs leaders soient actuellement en exil renforce le soupçon d’une manœuvre visant à les marginaliser en vue de préparer un futur paysage politique sans opposition forte.
Ce durcissement intervient dans un climat politique déjà très tendu en Guinée. Depuis le coup d’État de septembre 2021 qui a renversé Alpha Condé, la junte a promis une transition vers un pouvoir civil, sans toutefois avancer de calendrier clair. Cette incertitude alimente les craintes d’une prolongation de la transition et d’un verrouillage progressif de l’espace politique. Les organisations de la société civile et les partenaires internationaux suivent de près cette évolution. Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer un « rétrécissement » de la démocratie en Guinée, appelant à plus de transparence et de concertation dans les réformes en cours.
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Quelles conséquences pour l’avenir politique guinéen ?
La recomposition du paysage politique en cours pourrait avoir des conséquences profondes. Si certains partis politiques réussissent à se conformer aux nouvelles exigences, d’autres pourraient disparaître, transformant ainsi radicalement l’offre politique. Ce processus pourrait également provoquer une radicalisation de certaines franges de l’opposition, estimant être injustement écartées. Une telle situation pourrait fragiliser encore davantage un climat politique déjà sous tension, retardant encore l’organisation d’élections démocratiques.
L’assainissement du paysage politique guinéen est un objectif légitime, mais sa mise en œuvre soulève des interrogations majeures. Si la transparence et la rigueur dans la gestion des partis sont nécessaires, le risque d’une instrumentalisation de ce processus à des fins politiques est réel.
Alors que la Guinée tente de sortir d’une longue période d’instabilité, l’avenir de cette réforme sera déterminant pour la crédibilité de la transition. La capacité des acteurs politiques à s’adapter et la volonté de la junte à mener un processus équitable seront décisives pour l’avenir d’une démocratie encore fragile.
Tony A.