À l’occasion de l’ouverture de la quatrième Exposition économique et commerciale Chine-Afrique à Changsha, le gouvernement chinois a annoncé la suppression des droits de douane sur les exportations provenant de 53 pays africains. Une initiative de grande ampleur, qui élargit un privilège jusque-là réservé aux pays les moins avancés du continent. Pékin affiche une volonté claire : stimuler les exportations africaines, réduire l’énorme excédent commercial de 62 milliards de dollars qu’elle entretient avec l’Afrique, et renforcer son image de partenaire « désintéressé » du Sud global.
Mais derrière cette annonce généreuse se dessine une stratégie bien plus ambitieuse. Cette ouverture tarifaire, bien que bénéfique en apparence pour les économies africaines, soulève des interrogations : s’agit-il d’un levier pour asseoir davantage l’influence économique et géopolitique de la Chine en Afrique, à un moment où la rivalité avec les États-Unis prend une nouvelle tournure ? Ou d’un pas sincère vers un commerce plus équitable entre deux blocs du Sud global ?
Un souffle d’oxygène commercial pour les économies africaines
Pour les grandes économies industrielles du continent comme l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Égypte, le Nigeria ou encore Kenya, cette mesure offre une opportunité concrète. C’est à dire accéder plus facilement à un marché chinois colossal, à la consommation en pleine mutation. De nouveaux débouchés pourraient s’ouvrir pour l’agro-industrie, les produits manufacturés, textiles ou encore les ressources naturelles transformées.
La Chine ne se contente pas de lever les barrières tarifaires pour les exportations africianes. Elle prévoit aussi un accompagnement technique pour les pays les moins avancés comme le Tchad, le Niger ou le Mali. Ces pays bénéficieront d’un soutien logistique, de formations au marketing international et d’aides à la certification, dans le but d’éviter une marginalisation dans cette ouverture commerciale.
Cette réforme peut donc marquer un tournant pour les exportateurs africains, souvent freinés par les normes, les taxes ou les difficultés logistiques. En facilitant leur accès au marché chinois, elle pourrait initier une nouvelle dynamique d’industrialisation locale, pourvu que les gouvernements africains parviennent à structurer leurs filières et à renforcer leur compétitivité.
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Les exportations, une manœuvre géopolitique fine dans un contexte de guerre d’influence
Cette décision n’est pas qu’économique : elle est aussi hautement stratégique. Alors que les États-Unis viennent d’augmenter leurs droits de douane sur certains produits africains, Pékin joue la carte du « partenaire généreux », en contraste avec Washington, perçu comme protectionniste. La Chine capitalise ainsi sur le ressentiment grandissant d’une partie de l’Afrique envers les rapports économiques Nord-Sud jugés déséquilibrés.
Droits de douane suspendus : l’Afrique évite la tempête Trump, mais pour combien de temps ?
La notion de « communauté de destin Chine-Afrique », régulièrement invoquée par Xi Jinping, prend ici tout son sens. Elle renvoie à une vision d’interdépendance choisie et de coopération Sud-Sud. En réalité, il s’agit pour la Chine de consolider son ancrage en Afrique, à la fois comme client incontournable des matières premières, mais aussi comme bailleur d’infrastructures et investisseur stratégique dans les secteurs-clés (logistique, télécoms, énergie…). Mais ce déséquilibre pourrait changer de visage. La dépendance ne sera peut-être plus basée sur les flux d’importation, mais sur le contrôle chinois des circuits de distribution, des infrastructures logistiques ou des chaînes de valeur africaines. Un partenariat asymétrique reste possible si les économies africaines ne prennent pas l’initiative de renforcer leur souveraineté économique.
En abolissant les droits de douane sur les exportations africaines, la Chine fait un geste spectaculaire qui peut profiter au continent. Mais comme tout acte géoéconomique, il est porteur d’intérêts croisés. Si cette mesure peut favoriser un rééquilibrage commercial et booster les exportations africaines, elle appelle surtout à une vigilance politique. Les pays africains doivent transformer cette opportunité en levier pour renforcer leurs capacités productives, structurer leurs filières exportatrices et préserver leur autonomie stratégique. Car si les droits de douane tombent pour les exportations, les enjeux de souveraineté, eux, restent bien en place.
Tony A.