À Libreville, les bulldozers ont parlé plus fort que la concertation. Dans le quartier Plaine-Oréty, à deux pas de l’Assemblée nationale, les déguerpissements opérés par le génie militaire ont mis à nu bien plus que des maisons en tôle. Ils ont révélé une fracture politique et sociale que le pouvoir de transition ne pourra ignorer longtemps. Si les autorités justifient leur action par la nécessité de moderniser la capitale, les méthodes employées, elles, suscitent un tollé. Brutalité, impréparation, absence de dialogue… autant de signaux qui interrogent sur la manière dont l’État gabonais entend mener sa « Transition ».
Une semaine après l’intervention, les décombres sont toujours là, et les familles sinistrées aussi. Certaines dorment à la belle étoile, d’autres n’ont reçu aucune notification préalable. La justice elle-même n’avait pas encore tranché définitivement. Un jugement provisoire réclamait une expertise foncière complémentaire. Pourtant, la pelleteuse a précédé le droit. Pour beaucoup, cette précipitation trahit une volonté de puissance de l’exécutif sur un sujet qui exigeait écoute et patience. Résultat : les appels se multiplient pour la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire, preuve que le dossier dépasse désormais le seul cadre urbanistique.
Un urbanisme sans droits à Plaine-Oréty
Le discours officiel est clair : désengorger Libreville, lutter contre les inondations et construire un « boulevard de la Transition ». Mais à quel prix ? À Plaine-Oréty, aucun plan d’accompagnement digne de ce nom n’a été présenté. Pas de liste transparente des familles indemnisées, pas de solutions de relogement immédiates, pas même d’explication publique suffisamment claire. Le contraste entre la violence des actes et le silence des institutions est frappant.
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Des voix émergent contre cette logique de développement autoritaire à Plaine-Oréty. Ike Ngouoni, ancien porte-parole de la présidence, désormais à la tête de son parti « Les Engagés », appelle à un aménagement urbain sur vingt ans, mais fondé sur la concertation. Pour lui, il ne s’agit pas de refuser la transformation, mais de la faire avec et non contre les populations. Il plaide pour un comité de suivi indépendant, véritable garde-fou contre les dérives administratives. Cette proposition, simple mais puissante, rejoint les revendications de nombreux acteurs politiques et citoyens.
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Une transition urbaine… ou une fracture politique ?
Ce déguerpissement met le pouvoir de transition face à ses propres contradictions. Réformer sans reproduire les erreurs du régime Bongo, c’est aussi innover dans les méthodes. À défaut, la Transition risque de perdre sa légitimité au profit d’un urbanisme autoritaire perçu comme une continuité du passé. En outre, dans une capitale où l’informalité est souvent une réponse à l’inefficacité de l’État, faire table rase sans alternatives concrètes est une forme d’exclusion déguisée.
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Le dossier de Plaine-Oréty devient ainsi un révélateur. Révélateur des tensions entre vision technocratique et réalité sociale. Révélateur aussi d’une société civile qui refuse désormais de subir sans être consultée. À Libreville, les ruines des maisons démolies pourraient bien marquer la naissance d’un nouveau débat politique : celui du droit à la ville pour tous.
Sandrine A.