Retrouvé pendu dans sa cellule à Abidjan le 24 juillet 2025, la mort soudaine et controversée d’Alain Traoré, alias Alino Faso, a réveillé une onde de choc à Ouagadougou et au-delà. L’activiste burkinabè était en détention depuis janvier pour « intelligence avec des agents d’un État étranger ». Une accusation lourde qui, couplée aux circonstances suspectes de son décès, a rapidement alimenté la colère d’une partie de l’opinion publique ouest-africaine.
Le mercredi 30 juillet à Ouagadougou, plusieurs centaines de manifestants ont défilé dans les rues, vêtus de blanc, dans une marche pacifique mais déterminée. Ils réclament « la vérité » sur la mort de celui qu’ils considèrent comme une voix de la jeunesse. Leur message, simple mais ferme : ce décès ne saurait être classé comme un simple suicide sans qu’une lumière complète ne soit faite. Cette affaire met désormais en tension deux États liés par l’histoire, les enjeux sécuritaires et les aspirations populaires à plus de justice et de transparence.
Alino Faso, une figure de la contestation devenue enjeu diplomatique
Apparemment, l’affaire Alino Faso dépasse le cas d’un influenceur politique. Elle cristallise les crispations grandissantes entre gouvernements et voix dissidentes dans l’espace ouest-africain. Connu pour son franc-parler et ses prises de position souverainistes, Alino incarnait une jeunesse panafricaniste désillusionnée par les régimes jugés inféodés à des puissances étrangères. En cela, il gênait.
Sa détention en Côte d’Ivoire, sur fond d’accusations graves, laissait déjà transparaître une volonté de l’étouffer. Mais c’est sa mort qui a bouleversé la donne. Pour de nombreux Burkinabè, il est impensable qu’un homme aussi engagé, aussi combatif, qu’Alino Faso se soit suicidé. « Ils ont dit qu’Alino s’est pendu. Une chose que nous n’allons jamais admettre. Nous le connaissions, c’était quelqu’un de combatif, il ne pouvait pas se suicider », a affirmé Lassané Sawadogo, coordonnateur du Front de défense pour la patrie.
Cette perception collective alimente l’idée d’un assassinat politique maquillé en suicide, provoquant la montée de tensions diplomatiques entre Ouagadougou et Abidjan. La réaction rapide du gouvernement burkinabè convocation de la diplomatie ivoirienne, demande d’enquête conjointe, exigence de rapatriement du corps marque une volonté de ne pas laisser l’affaire sombrer dans l’oubli. Il en va non seulement de la mémoire d’un activiste, mais aussi de la crédibilité des institutions face à une jeunesse exigeante.
Un climat de défiance entre deux pays liés mais opposés
Les autorités burkinabè, dans un contexte de transition militaire affirmée, affichent depuis plusieurs mois une volonté de rupture avec certains anciens partenaires et prônent une souveraineté renforcée. À l’opposé, la Côte d’Ivoire incarne, pour nombre d’observateurs, un bastion de la diplomatie classique ouest-africaine, alliée fidèle des puissances occidentales.
Dans ce climat, la mort d’un activiste engagé, proche des courants panafricanistes burkinabè, inculpé pour « intelligence avec un État étranger », est venue raviver une suspicion déjà latente entre les deux capitales. Le fait qu’Alino Faso ait été poursuivi pour des actes aux relents géopolitiques donne à cette affaire une dimension explosive.
La demande d’enquête conjointe émise par Ouagadougou est autant une exigence de justice qu’un test de transparence pour Abidjan. Or, toute réticence ou gestion opaque pourrait être perçue comme un affront, voire un aveu, renforçant la fracture politique et idéologique entre les deux gouvernements.
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Des conséquences régionales et sécuritaires à redouter
Une détérioration des relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire n’aurait rien d’anodin. Ces deux pays partagent plus de 500 km de frontière et sont engagés, chacun à leur manière, dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Une coopération sécuritaire fragilisée pourrait affecter toute la région, notamment dans le contrôle des mouvements transfrontaliers.
Burkina Faso : Réponse aux inquiétudes économiques après le retrait de la CEDEAO
Au plan économique, les Burkinabè dépendent en partie du port d’Abidjan pour leurs exportations. Un durcissement diplomatique pourrait donc impacter les échanges commerciaux, les transports et la mobilité des populations, avec des conséquences sociales potentiellement lourdes. Enfin, cette affaire pourrait ouvrir une brèche pour d’autres États ou groupes à l’affût de divisions intra-africaines. Elle révèle également les limites d’un espace CEDEAO en crise, incapable pour l’instant de jouer les médiateurs crédibles entre ses membres aux trajectoires politiques opposées.
Si la mort d’Alino Faso demeure une tragédie personnelle et nationale, ses implications diplomatiques pourraient s’avérer durables et profondes. Elle agit comme un révélateur des tensions accumulées entre deux pays aux visions désormais discordantes de l’Afrique, de la souveraineté, et des alliances. La balle est désormais dans le camp des chefs d’État et de leurs chancelleries respectives. Leur capacité à faire prévaloir la vérité, le respect mutuel et l’intérêt régional déterminera si cette affaire devient une crise passagère… ou le point de bascule d’une fracture durable entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire.
Tony A.

