Depuis le 22 juillet, l’Angola vit au rythme des flammes, des cris et du sang. Une hausse de 100 kwanzas sur le litre de diesel soit à peine 0,10 dollar a suffi à mettre à feu et à sang plusieurs grandes villes du pays. À Luanda, Huambo, Benguela ou encore Lubango, les affrontements entre forces de l’ordre et manifestants ont fait au moins 22 morts et près de 200 blessés. Plus de 1 200 personnes ont été arrêtées. Officiellement, tout est parti d’une grève des chauffeurs de minibus. Mais en réalité, la colère populaire couvait depuis longtemps, alimentée par l’inflation, le chômage et un profond sentiment d’injustice.
Car ce qui se joue en Angola dépasse largement le seul prix du carburant. Ce soulèvement brutal révèle l’échec d’un modèle économique qui, malgré ses indicateurs macroéconomiques flatteurs, laisse des millions de citoyens au bord du gouffre. Et la stratégie du gouvernement, consistant à obéir aux recommandations du FMI sans prévoir d’amortisseurs sociaux, risque de faire de cette crise un tournant périlleux.
Une réforme sans filet social : le pari risqué du gouvernement
Depuis 2023, l’Angola s’est engagé dans une réforme structurelle visant à supprimer progressivement les subventions sur les produits pétroliers. Une décision dictée par la volonté de réduire le déficit budgétaire, ces subventions représentant jusqu’à 4 % du PIB. L’argument est clair : réorienter les ressources publiques vers l’éducation, la santé ou les infrastructures.
Mais sur le terrain, les conséquences sont immédiates et dramatiques. Pour une population dont 50 % vit sous le seuil de pauvreté, toute hausse du carburant entraîne une cascade d’augmentations sur le transport, les produits de base, et l’accès aux services essentiels. Les syndicats dénoncent le manque de dispositifs de compensation : aucune allocation ciblée, aucune subvention alimentaire, aucun programme d’urgence pour amortir le choc. La réforme devient ainsi perçue comme un abandon pur et simple.
La rue réagit donc, non à une seule mesure, mais à un système qui semble avoir perdu de vue les réalités quotidiennes. Ce n’est pas seulement une question d’économie, mais de justice sociale. Quand les réformes creusent l’écart entre les élites et la base, la contestation devient inévitable.
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Autoritarisme et risques de contagion régionale
Face à la contestation, le pouvoir angolais a choisi la répression : arrestations massives, tirs à balles réelles, intimidation des syndicats. Le président João Lourenço, jusqu’ici perçu comme un réformateur modéré, affiche désormais un visage plus autoritaire. Ce durcissement de ton pourrait s’expliquer par la peur d’un effet domino : dans une Afrique australe sous pression économique (Mozambique, Zimbabwe, RDC), les émeutes angolaises pourraient inspirer d’autres peuples asphyxiés par l’austérité.
Afrique : la faim recule dans les chiffres, mais pas dans les estomacs
Mais à force de contenir la colère sans en traiter les causes, le régime angolais risque d’embraser encore plus profondément le pays. Car le malaise est transversal : jeunes diplômés sans emploi, travailleurs informels sans protection, fonctionnaires sous-payés… Le pacte social est brisé. Et avec une nouvelle mobilisation syndicale annoncée pour fin septembre, le pouvoir a peu de marge de manœuvre.
L’explosion sociale angolaise est le symptôme d’un mal plus large. C’est celui d’une économie de rente qui, sans redistribution équitable, devient une bombe à retardement. La hausse du carburant n’est que la goutte de diesel qui fait déborder le baril. Pour éviter le chaos, le gouvernement devra changer de paradigme. C’est à dire écouter, compenser, dialoguer. Car au-delà des chiffres du FMI, c’est la paix sociale qui est en jeu. Et elle ne peut s’acheter au prix du silence des morts.
Tony A.

