Le dernier rapport mondial sur l’insécurité alimentaire (SOFI), cosigné par cinq agences des Nations Unies, semble vouloir porter un message d’espoir. En 2024, le nombre de personnes souffrant de la faim a légèrement reculé par rapport à l’année précédente. Pourtant, derrière cet optimisme statistique, une réalité bien plus sombre persiste notamment sur le continent africain, où près de la moitié des sous-alimentés mondiaux vivent déjà, et où cette proportion devrait grimper à 60 % d’ici 2030.
Ce paradoxe entre données globales et vécus locaux interroge. Alors que des outils technologiques, des stratégies agricoles durables et des politiques alimentaires ont été mis en place ces dernières années, les gains semblent éclipsés par des facteurs systémiques puissants : conflits, instabilité politique, dérèglement climatique et explosion des prix alimentaires. L’Afrique, bien qu’elle abrite une terre fertile et une jeunesse innovante, semble enchaînée par un cercle vicieux de crises chroniques.
La faim, symptôme d’un désordre structurel
Si la République démocratique du Congo est aujourd’hui le pays africain le plus touché avec près de 28 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire sévère, ce n’est pas un cas isolé. Le Soudan, le Soudan du Sud, le Yémen et la bande de Gaza connaissent également des taux d’insécurité alimentaire dramatiques. Ce qui relie ces pays, c’est moins leur géographie que la combinaison fatale entre conflits armés, déplacement de populations, effondrement des systèmes publics et accès limité aux denrées de base.
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La faim n’est pas seulement une question de production alimentaire. Dans bien des cas, les marchés existent, les produits circulent… mais restent inaccessibles pour les populations les plus vulnérables à cause de leur prix. En Afrique de l’Ouest, par exemple, les effets des chocs climatiques sur les récoltes, conjugués à l’inflation galopante, réduisent chaque jour la capacité des ménages à se nourrir convenablement. Le rapport onusien pointe ainsi la nécessité d’agir sur les leviers économiques, et pas seulement humanitaires.
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La bataille des récits
Cette tension entre une « baisse globale » de la faim et une réalité d’aggravation en Afrique révèle un autre défi : celui de la communication. À force de rechercher un langage global rassurant, les institutions internationales risquent d’édulcorer les urgences locales. Parler de « progrès » sans ancrer les récits dans les territoires où la faim s’intensifie pourrait diluer l’élan d’urgence nécessaire à une véritable mobilisation politique et financière.
Par ailleurs, une telle lecture agrégée masque les écarts d’investissement structurel entre les régions du monde. Si l’Asie et l’Amérique latine bénéficient de programmes soutenus de transformation agricole, l’Afrique, elle, reste sous-financée, malgré les discours sur son potentiel nourricier. Or, sans un soutien massif aux petits producteurs, sans stabilisation politique et sans refonte des chaînes de distribution locales, aucune donnée chiffrée ne pourra réellement inverser la tendance sur le terrain.
La faim n’est pas un chiffre, c’est une réalité quotidienne, brutale, qui transcende les moyennes statistiques. Le recul théorique de l’insécurité alimentaire doit désormais s’accompagner d’un changement radical d’approche, centré sur les populations, les contextes et les solutions locales. Sans quoi l’Afrique restera le théâtre d’un paradoxe douloureux : continent d’abondance, mais ventre creux de la planète. La lutte contre la faim ne peut être gagnée sans justice sociale, paix durable et politiques courageuses ancrées dans le réel.
Tony A.

