Dans un contexte politique et économique en constante évolution, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont instauré un droit de douane de 0,5 % sur les produits en provenance des pays non membres de leur organisation. Baptisé « prélèvement confédéral AES », ce nouveau dispositif douanier vise à financer les activités de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), une structure régionale créée pour promouvoir la coopération entre ces trois pays. Signé par Assimi Goïta, président de la junte malienne et président de l’AES, ce texte marque une nouvelle étape dans la gestion économique des membres de cette alliance, qui ont quitté la CEDEAO en janvier dernier.
Cependant, cette mesure suscite de nombreuses interrogations, notamment sur son impact sur le commerce régional, la gestion des coûts des importations et les relations économiques entre les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Quelles sont les implications de ce prélèvement sur les acteurs économiques locaux, les consommateurs et la stabilité de l’économie régionale ?
Une taxe de l’AES structurée mais à double tranchant
La taxe de 0,5 % instaurée par les trois pays de l’AES s’apparente à un transfert du prélèvement douanier déjà en vigueur aux frontières extérieures de la CEDEAO. Plutôt que de verser ces fonds à l’organisation régionale, les trois pays décideront de les conserver pour alimenter les caisses de leur confédération. Ce mécanisme pourrait avoir un impact direct sur les importations en provenance de pays tiers, notamment sur les prix des produits qui ne bénéficient pas de la même exonération fiscale qu’auparavant. Si le ministre malien de l’Économie a rassuré la population sur le fait que cette taxe n’affectera pas le coût des produits importés, la question de la transparence et de la gestion de cette ressource reste cruciale.
En effet, bien que l’objectif affiché soit de renforcer l’autonomie économique de l’AES, ce prélèvement pourrait provoquer une pression sur les entreprises locales, particulièrement celles qui dépendent des importations de biens de consommation courante. Les acteurs économiques devront s’adapter à ce nouvel environnement, ce qui pourrait entraîner une révision des prix et des ajustements dans la chaîne d’approvisionnement. À cela s’ajoute la question de la concurrence entre les pays membres de l’AES et ceux de l’UEMOA, dont certains produits seront exemptés de cette taxe.
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Les conséquences sur le commerce régional et la coopération multilatérale
Un autre point clé de cette décision concerne les relations commerciales entre les pays membres de l’UEMOA, à savoir le Mali, le Niger et le Burkina Faso, et ceux qui ne font pas partie de cette union monétaire. Bien que les produits en provenance des autres pays de l’UEMOA soient exemptés de la taxe, les échanges avec des pays comme le Ghana et le Nigeria, non membres de l’organisation, seront désormais soumis à cette nouvelle redevance. Cette différenciation dans la taxation pourrait fragiliser les échanges commerciaux entre ces pays voisins et accroître les tensions économiques dans la région.
Par ailleurs, cette décision pourrait marquer une rupture dans les relations commerciales établies avec la CEDEAO, dont les membres devront repenser leurs stratégies d’échanges avec les trois pays. Cette démarche pourrait, à terme, compliquer les efforts de réintégration de ces pays au sein de la CEDEAO, tout en exerçant des pressions sur les relations bilatérales au sein de la région ouest-africaine.
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Taxe de l’AES et celle de la CEDEAO : différences et enjeux
La nouvelle taxe instaurée par les pays de l’AES diffère sensiblement de celle préexistante au sein de la CEDEAO, bien que les deux prélèvements reposent sur un même taux de 0,5 %. La principale différence réside dans la gestion des fonds collectés. Dans le cadre de la CEDEAO, les recettes générées par cette taxe étaient versées à l’organisation régionale pour financer les projets communs, notamment en matière d’infrastructures et de développement économique.
En revanche, avec l’AES, les trois pays ont décidé de conserver ces recettes au sein de leur confédération pour financer leurs propres activités, ce qui leur permet de renforcer leur autonomie économique. Cette décision marque une rupture avec le modèle précédent, où l’intégration régionale était primée.
Cependant, cette nouvelle configuration pourrait fragiliser l’esprit de coopération sous-régionale, car elle réintroduit des barrières tarifaires internes, susceptibles de créer des frictions avec les autres membres de la CEDEAO et de l’UEMOA. La différence de gestion de ces prélèvements reflète ainsi une volonté des pays de l’AES de se détacher progressivement des structures traditionnelles de la coopération régionale, ce qui pourrait redéfinir les relations commerciales et les équilibres au sein de la région ouest-africaine.
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Une stratégie ambitieuse mais risquée pour les membres de l’AES
L’instauration de cette taxe sur les importations des pays tiers est un choix stratégique audacieux de la part des membres de l’AES. Si elle peut offrir une source de financement alternative pour leur confédération, elle comporte également des risques importants pour la stabilité économique et commerciale régionale.
En dépit des assurances gouvernementales, les entreprises locales et les consommateurs pourraient ressentir les effets de cette taxe sous la forme de hausses de prix et de perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. De plus, l’impact sur les relations avec l’UEMOA et la CEDEAO pourrait altérer les équilibres économiques dans la région. Dans ce contexte, la mise en œuvre de cette mesure devra être suivie de près pour évaluer ses répercussions à long terme sur l’intégration régionale et la compétitivité des économies des trois pays concernés.
Tony A.