Au Nigeria, la scène politique vient d’être secouée par un nouvel épisode tendu entre pouvoir institutionnel et voix dissidentes. La sénatrice Natasha Akpoti-Uduaghan, élue du Kogi Central, a été empêchée de regagner son siège ce mardi 16 juillet, malgré une décision de justice favorable. Ce refus d’accès au Sénat, marqué par une présence policière musclée, intervient dans le contexte d’un bras de fer persistant avec le président de la chambre haute, Godswill Akpabio, que l’élue accuse de harcèlement sexuel.
Natasha Akpoti-Uduaghan, suspendue en mars dernier pour « faute grave », avait saisi la justice, qui a finalement annulé sa suspension. Toutefois, le Sénat semble défier ouvertement cette décision judiciaire, exacerbant les inquiétudes autour du respect de la séparation des pouvoirs et des droits fondamentaux. Ce cas évoque des enjeux majeurs notamment la place des femmes dans les sphères politiques, le traitement réservé aux lanceuses d’alerte, mais aussi la capacité des institutions nigérianes à garantir un fonctionnement démocratique.
Le combat de Natasha Akpoti-Uduaghan
Depuis ses accusations en février, Natasha Akpoti-Uduaghan fait figure de symbole d’un courage politique rare. Accusant publiquement le président du Sénat de lui avoir proposé des faveurs sexuelles en échange d’un appui politique, elle a brisé un tabou majeur dans une société encore largement dominée par les codes patriarcaux. En retour, elle fait face à ce que beaucoup considèrent comme une campagne de représailles : suspension, discrédit, et désormais interdiction physique d’entrer dans l’hémicycle.
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Cette affaire illustre les risques personnels que prennent les femmes engagées en politique au Nigeria comme Natasha Akpoti-Uduaghan. Elle rappelle également que la parole des femmes reste souvent étouffée, surtout lorsqu’elle dérange les hautes sphères du pouvoir. Au lieu de permettre une enquête indépendante, les institutions semblent se refermer autour de l’accusé, créant un climat d’impunité troublant.
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Dérive institutionnelle ou crise de légitimité ?
L’autre élément préoccupant de cette affaire, c’est la manière dont une décision judiciaire claire a été ignorée par le Sénat, sans explication officielle. L’impossibilité pour une sénatrice réhabilitée de reprendre sa place questionne la force du droit dans le système démocratique nigérian. Le recours aux forces de sécurité pour barrer l’accès à une élue remet également en question le rôle de ces forces : garantes de l’ordre ou bras armé du pouvoir politique ?
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Ce bras de fer entre le législatif et le judiciaire pourrait avoir de lourdes conséquences. En refusant de se plier à la justice, le Sénat nigérian s’expose à une perte de légitimité profonde, aussi bien sur le plan national qu’international. Il donne le signal inquiétant que le droit peut être suspendu à la convenance de ceux qui détiennent le pouvoir.
L’affaire Natasha Akpoti-Uduaghan est bien plus qu’un simple différend entre deux figures politiques. Elle cristallise les tensions autour de la liberté d’expression, du respect du droit, et de la protection des femmes dans les hautes sphères. Elle rappelle aussi qu’une démocratie ne se mesure pas seulement aux élections, mais à la capacité de ses institutions à respecter et appliquer l’État de droit, sans distinction de sexe, de pouvoir ou de statut. Pour la jeune génération nigériane, en quête de modèles et de justice, le traitement réservé à cette sénatrice est un signal fort. Soit il devient un tournant salutaire pour exiger plus de transparence et d’égalité dans la gouvernance, soit il renforcera une culture de silence, de peur et de privilèges intouchables. Le Nigéria est à un carrefour critique : soit il choisit la justice, soit il creuse un peu plus le fossé entre les citoyens et leurs institutions.
Sandrine A.

