Ibrahim Courmo, directeur local d’Orano au Niger, a été arrêté par les services de sécurité extérieure nigériens lors d’une perquisition menée le 5 mai 2025 dans les locaux du groupe français et de ses filiales (Somaïr, Cominak, Imouraren) à Niamey. Huit jours plus tard, le 13 mai, Orano a saisi le procureur de la République du Niger pour dénoncer une « arrestation arbitraire », une « détention illégale » et une « confiscation injustifiée de matériels », franchissant ainsi un nouveau cap dans la confrontation avec les autorités nigériennes.
Au-delà du sort personnel de M. Ibrahim Courmo, disparu des radars de son entreprise, c’est la relation, déjà très tendue, entre Orano et la junte au pouvoir depuis le coup d’État de juillet 2023 qui est ici remise en cause. Historiquement puissant pilier économique du Niger, premier producteur africain d’uranium, Orano se retrouve confronté à un nouveau type de défi : l’arbitraire politique et la montée en puissance d’une vision souverainiste des ressources.
Une relation minée par la politique
Depuis l’arrivée au pouvoir du général Tiani, le Niger a adopté une posture volontiers nationaliste vis-à-vis de ses ressources stratégiques. Orano, actif dans l’extraction d’uranium depuis plusieurs décennies, a vu ses opérations confrontées à des instructions de plus en plus directes de la junte. La perquisition des bureaux à Niamey, en pleine crise sécuritaire et économique, marque une rupture dans les usages. Jamais auparavant le président fondé de pouvoir d’Orano n’avait été appréhendé de façon aussi brutale.
L’entreprise dénonce un « cadre légal non établi » et se plaint de ne plus pouvoir accéder à ses propres locaux. Pour la junte, cette opération vise à peser sur Orano et à rappeler que l’uranium reste un « bien national » dont l’exploitation doit répondre à des impératifs de souveraineté et de retombées financières plus importantes pour l’État. Cette logique, bien que compréhensible dans un contexte de réaffirmation post-coloniale, jette une ombre sur la sécurité juridique des investissements étrangers au Niger.
Le message envoyé aux autres compagnies minières est clair. Les contrats conclus avant le coup d’État ne sont pas intangibles. Pour le secteur, cette crise risque de renforcer la défiance des investisseurs internationaux et de compliquer encore plus le redressement économique d’un pays dont l’uranium représente près de 5 % du PIB.
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Arrestation arbitraire d’Ibrahim Courmo
Face à l’arrestation « arbitraire et extra-judiciaire » d’Ibrahim Courmo, Orano a déjà engagé deux procédures d’arbitrage international, en plus de sa plainte locale. L’enjeu dépasse le simple contentieux. Il s’agit de garantir la stabilité du cycle mondial du combustible nucléaire, dont le Niger fournit près de 20 % de l’approvisionnement de la filière française.
L’arrestation d’Ibrahim Courmo, directeur local d’Orano, cristallise les tensions entre Niamey et Paris et illustre la dégradation d’une relation stratégique. Le risque de perturbation de la production d’uranium nigérien, dont Orano est un acteur central, fragilise la chaîne d’approvisionnement en combustible des centrales nucléaires européennes, accentuant les tensions énergétiques déjà vives en période de transition vers le bas carbone. Pour Paris, l’affaire touche à la sécurité énergétique ; pour Niamey, c’est une occasion de renégocier à la hausse les termes de ses contrats, voire de diversifier ses partenaires, notamment vers la Chine ou la Russie.
Sur le plan diplomatique, cette confrontation renforce la posture autonome de la junte, qui peut jouer la carte d’un nationalisme économique face à l’ancienne puissance tutélaire. Mais elle prend aussi le risque d’un isolement progressif, si les arbitrages tournent en faveur d’Orano et de ses puissants appuis internationaux. En saisissant la justice nigérienne, Orano joue sa crédibilité et celle des institutions de régulation internationales. La décision de la junte de recourir à une arrestation expéditive met à l’épreuve la notion même de sécurité juridique en Afrique de l’Ouest. Les mois à venir détermineront si Niger et Orano parviendront à un compromis via arbitrage ou renégociation ou si cette crise ouvre une ère de nationalisation musclée, avec des conséquences lourdes pour l’économie nigérienne et la filière nucléaire mondiale.
Sandrine A.

