À l’approche de la Tabaski, fête musulmane majeure marquée par le sacrifice rituel d’un mouton, le gouvernement sénégalais redouble d’efforts pour garantir l’approvisionnement du pays. Estimés à plus de 800 000 têtes, les besoins dépassent largement la capacité de production locale, obligeant l’État à mobiliser des ressources internes et transfrontalières pour combler le déficit. Pour cette édition 2025, un conseil interministériel a été convoqué afin d’anticiper les tensions sur le marché et limiter les risques liés à cette période sensible.
Mais au-delà de la simple logistique, un autre combat prend de l’ampleur, celui contre le vol de bétail. Ce phénomène, devenu structurel dans plusieurs régions du Sénégal, occasionne des pertes annuelles estimées à 2 milliards de francs CFA. La Tabaski, avec ses pics de demande, en exacerbe les effets. Les mesures annoncées par le gouvernement, entre sécurité renforcée, identification numérique du cheptel et fiscalité allégée sur les importations, laissent entrevoir une réponse systémique à un problème ancien, à la fois économique, sécuritaire et social.
Le vol de bétail, un fléau structurel à la croisée des enjeux sécuritaires et économiques
Longtemps relégué à la rubrique des faits divers, le vol de bétail prend aujourd’hui une ampleur préoccupante. Il s’agit désormais d’un enjeu de sécurité intérieure et de stabilité rurale. Dans les zones pastorales, ce phénomène alimente un climat de méfiance, désorganise les circuits commerciaux et peut même être source de conflits intercommunautaires. Le gouvernement l’a bien compris à la veille d’un événement aussi sensible que la Tabaski. laisser prospérer ce trafic serait une erreur stratégique.
C’est pourquoi un arsenal sécuritaire a été activé : patrouilles mixtes, mobilisation des forces armées et du renseignement communautaire, surveillance des axes routiers et points de vente. Cette approche territorialisée vise autant à dissuader les voleurs qu’à rassurer les éleveurs et les acheteurs. Mais elle ne suffira pas à endiguer le problème tant que des mécanismes de traçabilité ne seront pas déployés à grande échelle.
Lire Aussi : Togo : Faure Gnassingbé, artisan discret d’une gouvernance inclusive
Traçabilité, importations, et mutations du marché du mouton pour la Tabaski
Le projet d’un système national d’identification du cheptel, attendu d’ici fin 2025, pourrait transformer durablement la filière. En permettant de suivre chaque animal de la naissance à la vente, il offrirait aux éleveurs une meilleure protection contre le vol, faciliterait les contrôles sanitaires et renforcerait la transparence sur les marchés. Ce type de solution technologique, déjà expérimenté dans d’autres pays, marque une modernisation indispensable pour un secteur encore trop informel.
En parallèle, la suppression des droits de douane sur les moutons importés du Mali et de la Mauritanie montre une volonté de fluidifier l’offre, tout en préservant le pouvoir d’achat des ménages sénégalais. Cette ouverture temporaire souligne aussi la dépendance structurelle du Sénégal aux importations en période de forte demande. La saturation du point de vente historique du stade Léopold Sédar Senghor, en travaux, conduit par ailleurs à une recomposition géographique du commerce du mouton, avec la création d’un nouveau parc à Diamniadio. Une évolution logistique qui pourrait devenir permanente.
La Tabaski 2025 révèle, au-delà de l’effervescence religieuse, les fragilités mais aussi les dynamiques de transformation du secteur de l’élevage au Sénégal. En s’attaquant à la fois au vol de bétail, à la traçabilité et à l’accès au marché, l’État amorce un virage stratégique qui dépasse la fête. L’enjeu n’est pas seulement de garantir des moutons pour la Tabaski, mais de bâtir une filière pastorale résiliente, moderne et sécurisée, capable de répondre aux défis de demain. La lutte contre le vol devient ainsi un levier d’organisation et de structuration du monde rural.
Sandrine A.