L’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), une organisation phare du journalisme d’investigation, se trouve aujourd’hui au centre d’une polémique majeure. Selon une enquête menée par Mediapart, en collaboration avec plusieurs médias internationaux, l’OCCRP aurait dissimulé l’ampleur des financements reçus de la part du gouvernement américain.
Ces révélations remettent en question l’indépendance de l’ONG, qui, malgré ses grandes enquêtes internationales, semble être dépendante de Washington. Retour sur une affaire qui soulève des questions cruciales sur la neutralité des journalistes d’investigation.
L’OCCRP : Une organisation influente du journalisme d’investigation
Fondée en 2008 par Drew Sullivan à Sarajevo, l’OCCRP est rapidement devenue l’une des organisations de journalisme d’investigation les plus puissantes au monde. L’ONG, qui se déclare indépendante, a joué un rôle central dans des enquêtes internationales majeures, telles que les Panama Papers, les Pandora Papers ou encore le projet Pegasus, exposant des scandales de corruption et de blanchiment d’argent au niveau mondial.
Dotée d’un budget de 20 millions d’euros par an et de plus de 200 journalistes répartis dans 70 pays, l’OCCRP a fait tomber plusieurs figures politiques, notamment en Russie et en Azerbaïdjan, tout en récupérant des milliards de dollars détournés. Pourtant, malgré ces succès, des questions sérieuses sur ses financements et ses liens avec le gouvernement américain refont surface.
Un financement opaque et des liens étroits avec Washington
L’enquête de Mediapart, en partenariat avec des médias de renom comme Drop Site News (États-Unis), Il Fatto Quotidiano (Italie) et la télévision publique allemande NDR, révèle que l’OCCRP a été fondée grâce à un soutien financier considérable du département d’État des États-Unis. Actuellement, ce dernier continue de financer la moitié du budget de l’ONG, mais avec des implications qui vont bien au-delà de l’aspect financier.
Selon les révélations, l’OCCRP ne se contente pas de recevoir des fonds : Washington aurait un droit de veto sur la nomination de ses dirigeants et imposerait des restrictions sur les enquêtes à mener. Un point crucial souligné par Médiapart : l’OCCRP aurait été contrainte de ne pas enquêter sur les États-Unis pendant ses premières années, lorsque l’intégralité de son financement provenait de Washington.
Une influence subtile mais réelle : Les restrictions sur les enquêtes
Les tensions autour de l’influence des États-Unis sont exacerbées par le financement ciblé imposé par Washington. L’OCCRP aurait été contrainte, par exemple, de consacrer une partie de ses fonds à enquêter sur des pays que les États-Unis considèrent comme leurs ennemis géopolitiques, comme la Russie et le Venezuela. Entre 2015 et 2019, le département d’État américain a financé à hauteur de 2,2 millions de dollars une opération visant à contrer la sphère médiatique russe. En 2021 et 2022, l’OCCRP a dirigé une enquête sur les avoirs des oligarques russes, alimentée par des subventions américaines.
Drew Sullivan, fondateur de l’OCCRP, a reconnu dans une interview que l’influence de Washington est inévitablement présente. Il a déclaré que sans l’aide financière des États-Unis, l’ONG n’aurait pas pu mener certaines de ses plus grandes enquêtes, notamment celles portant sur des régimes autocratiques. Cependant, il soutient que l’indépendance éditoriale est préservée, en dépit des restrictions imposées par les financements américains.
Un scandale aux répercussions mondiales : L’impact sur le journalisme indépendant
Le scandale qui éclate autour de l’OCCRP soulève des questions essentielles sur la transparence et l’indépendance des grandes organisations de journalisme d’investigation. Alors que l’ONG a joué un rôle central dans la lutte contre la corruption mondiale, l’existence d’une telle dépendance financière vis-à-vis du gouvernement américain ébranle la confiance envers son impartialité. L’incapacité à enquêter sur des sujets sensibles liés aux États-Unis, ou encore la pression sur d’autres médias, comme l’a révélé Médiapart, suggèrent une complexité morale et politique qui mérite d’être scrutée de près.
Les révélations sur les liens financiers et politiques entre l’OCCRP et le gouvernement américain soulèvent des questions profondes sur l’intégrité des pratiques journalistiques à l’échelle internationale. L’OCCRP, en dépit de son image de grand défenseur du journalisme d’investigation, doit désormais affronter des critiques concernant sa neutralité et son indépendance. Alors que des millions de dollars continuent d’affluer de sources gouvernementales, la question demeure : un grand média d’investigation peut-il encore prétendre à une totale indépendance lorsqu’il est ainsi lié à des puissances géopolitiques ?
Steven Edoé WILSON