La sortie discrète de Moussa Dadis Camara dans la nuit du 13 au 14 avril 2025 suscite de vives interrogations. Condamné à 20 ans de réclusion pour son rôle dans les massacres du 28 septembre 2009, l’ancien chef de la junte guinéenne a été gracié fin mars par le général Mamadi Doumbouya pour raisons de santé. Destination le Maroc, pays qu’il connaît bien pour y avoir déjà séjourné après la tentative d’assassinat de son ex-aide de camp, Toumba Diakité. Mais au-delà de l’aspect médical invoqué, ce départ fait jaillir une question cruciale : Dadis Camara a-t-il réellement quitté la Guinée pour se soigner, ou s’agit-il d’un éloignement politique déguisé ?
Dans un pays marqué par une histoire politique tourmentée et où la justice cherche encore à s’affirmer, la grâce présidentielle accordée à Dadis Camara et son départ précipité à l’étranger alimentent les doutes sur la sincérité du processus judiciaire. Si son entourage insiste sur la détérioration de son état de santé, beaucoup y voient une stratégie calculée pour le soustraire aux conséquences politiques et sociales de sa condamnation, dans un contexte où l’exécutif guinéen cherche à consolider son pouvoir.
Une grâce de Dadis Camara qui fragilise la justice transitionnelle
Le procès historique des massacres du 28 septembre 2009, entamé en 2022, avait été salué comme un tournant majeur pour la justice guinéenne. La condamnation de Moussa Dadis Camara, ex-homme fort de la transition militaire, incarnait un signal fort en faveur de la lutte contre l’impunité. Sa grâce présidentielle, bien que légale, a été perçue comme un recul : les victimes, les ONG de défense des droits humains et les parties civiles ont exprimé leur indignation face à ce qu’elles considèrent comme un déni de justice.
Loin d’apaiser les tensions, cette décision réactive les traumatismes de 2009 et alimente une perception d’impunité persistante au sommet de l’État. Pour nombre d’observateurs, cette grâce entame la crédibilité d’un procès déjà long et difficile, où les véritables responsabilités tardent à être pleinement établies. En permettant au principal accusé de quitter le territoire, le régime de Doumbouya pourrait apparaître comme réticent à assumer jusqu’au bout les engagements d’une justice équitable.
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Le Maroc, havre médical ou un exil stratégique ?
Le choix du Maroc n’est pas anodin. Déjà connu de Dadis Camara, le royaume chérifien offre un cadre familier, loin des projecteurs de la justice guinéenne et des pressions locales. Officiellement, il s’agirait d’un simple séjour médical, mais le flou autour de son retour éventuel alimente les spéculations. Cette zone grise, entre exil volontaire et éloignement forcé, interroge sur la volonté réelle du pouvoir guinéen de garantir la suite du processus judiciaire.
En réalité, ce départ pourrait servir un double objectif politique : d’une part, calmer les tensions internes liées à la présence de Dadis Camara en prison, perçue comme un facteur de polarisation ; d’autre part, offrir un exutoire discret à un acteur devenu encombrant. Ce n’est pas la première fois que le pouvoir guinéen utilise l’exil sanitaire comme variable d’ajustement politique. La gestion de cette affaire, sans communication officielle ni transparence sur la durée et les conditions de ce séjour, entretient le flou et accentue la défiance citoyenne.
La libération et la sortie du territoire de Moussa Dadis Camara créent un précédent inquiétant pour l’avenir de la justice en Guinée. Elles remettent en cause la capacité de l’État à mener jusqu’au bout des procès historiques, et à résister aux logiques d’arrangement politique. Dans un contexte de transition où la promesse de rupture avec les pratiques du passé est brandie, cette affaire pourrait apparaître comme un révélateur des limites réelles de la réforme. Alors que la Guinée tente de se projeter dans une nouvelle ère démocratique, la manière dont le cas Dadis Camara est traité aura des répercussions profondes sur la confiance du peuple envers les institutions. Le signal envoyé est ambigu : entre justice à deux vitesses et instrumentalisation du droit à des fins politiques, les contours d’un exil médical se confondent dangereusement avec ceux d’un exil politique.
Tony A.