Dans un pays longtemps associé à l’instabilité, aux conflits armés et à l’effondrement institutionnel, le lancement de la Vision 2060 marque une tentative audacieuse pour la Somalie. Celle de réinscrire le pays dans une trajectoire planifiée, ambitieuse et résolument tournée vers l’avenir. Ce programme, dévoilé en présence du président Hassan Sheikh Mohamud et du Premier ministre Hamza Abdi Barre, fixe les grandes lignes d’un développement économique et institutionnel à long terme, à l’horizon du centenaire de la République.
Soutenu par la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Afrique (CEA), ce projet apparaît comme un manifeste de résilience. Il entend transformer les épreuves du passé en tremplins pour la reconstruction. Car si les défis sont nombreux insécurité, pauvreté, chômage, infrastructures fragiles, la Somalie ne part pas de zéro. Cette vision 2060 veut mobiliser ses ressources humaines, ses partenariats stratégiques et son potentiel régional inexploité pour bâtir un futur inclusif et durable.
Vision 2060, un pari sur la stabilité
La Vision 2060 repose sur un postulat fort que la stabilité peut être construite par l’anticipation, même au cœur du désordre. Pendant que certaines régions du pays restent sous la menace d’Al-Shabaab et que la fragmentation étatique persiste, la Somalie affirme son droit à se projeter dans l’avenir. Cette démarche rompt avec l’immédiateté des politiques de crise qui ont marqué les deux dernières décennies.
Le pari somalien consiste à structurer la reconstruction sur des piliers solides : gouvernance inclusive, développement économique diversifié, sécurité alimentaire, et durabilité environnementale. L’un des axes majeurs du plan est la consolidation des institutions, avec une attention particulière portée à la justice, la décentralisation et les partenariats public-privé, domaines déjà appuyés par la CEA dans ses précédentes interventions.
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Des ambitions réalistes ? Opportunités régionales et obstacles structurels
L’environnement régional pourrait servir de levier. Avec l’intégration progressive dans la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), la Somalie pourrait renforcer son commerce, attirer des investissements ciblés et relancer son économie portuaire. L’essor de corridors logistiques dans la Corne de l’Afrique (notamment Djibouti et l’Éthiopie voisine) offre des perspectives si la paix s’installe durablement.
Mais les défis restent immenses. Près de 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, les infrastructures sont largement détruites ou inexistantes, et la résilience climatique demeure faible. L’insécurité alimentaire, les migrations internes et la fuite des cerveaux constituent des freins majeurs à la concrétisation des ambitions de la Vision 2060. Sans une amélioration significative de l’administration, de la sécurité et de la cohésion sociale, le risque est que cette vision reste lettre morte.
La Vision 2060 est un acte politique fort. Elle transforme le centenaire de la Somalie en horizon structurant, en rupture avec une histoire récente marquée par l’urgence et la fragmentation. En affirmant sa capacité à se projeter dans le temps long, le pays envoie un message aux partenaires internationaux. Il veut être acteur de son développement, et non plus simple bénéficiaire de l’aide. Le succès de cette stratégie dépendra moins de la justesse du document que de la constance de son application, dans un environnement où la moindre crise peut tout faire vaciller. Mais une chose est sûre, l’ambition affichée est en soi une victoire symbolique. Car elle redonne à la Somalie ce qui lui a tant manqué depuis des décennies : une vision collective du futur.
Sandrine A.