Ce comportement a un nom : la gamophobie, ou peur de l’engagement amoureux. Même si le mot semble encore méconnu, c’est une réalité pourtant bien présente. À Lomé comme ailleurs, les histoires d’amour commencent souvent avec passion… pour se terminer en confusion. L’un disparaît, devient distant ou invente mille raisons pour fuir dès que la relation devient sérieuse. Si cela ressemble à un schéma que vous avez déjà vécu ou observé, vous n’êtes pas seul.
Longtemps considérée comme une problématique « occidentale », la gamophobie s’installe désormais en Afrique, notamment au Togo, où les jeunes générations redéfinissent leurs priorités, leur rapport à l’amour, au couple… et même au mariage. Selon plusieurs personnes interrogées à Lomé, la gamophobie révèle bien plus qu’une peur du mariage. Elle dit quelque chose d’une époque, d’une jeunesse qui se cherche entre liberté et engagement, entre héritage culturel et aspirations modernes. La pression sociale, le poids des traditions, mais aussi l’émancipation personnelle jouent un rôle clé dans cette nouvelle dynamique relationnelle.
Pas une phobie du mariage, mais de tout ce qu’il implique
Étymologiquement issue du grec gamos (mariage) et phobos (peur), la gamophobie ne se limite pas au refus de passer devant le maire. Elle englobe surtout la peur de s’engager sérieusement dans une relation affective stable. Derrière ce rejet du couple durable se cachent souvent des blessures familiales profondes : divorce parental, trahison, abandon ou sentiment d’échec amoureux. En grandissant dans des foyers marqués par des conflits ou des mariages fragiles, beaucoup ont du mal à croire encore en l’engagement durable. « Quand on a vu ses parents se déchirer toute sa vie, comment croire encore au couple ? » confie Thomas, 26 ans. Le spectre des divorces ou des unions de façade laisse des traces émotionnelles qui font naître une méfiance envers le couple.
Les attentes sociales et les pressions culturelles ne facilitent pas non plus les choses. Si le mariage reste fortement ancré dans les mœurs, il devient aussi synonyme de lourdes obligations familiales et religieuses, qu’un nombre croissant de jeunes refuse de porter. « Avec le chômage, la précarité, et l’inflation qui nous frappe tous les jours, il m’est difficile de voir comment je pourrais offrir un avenir à une femme, et encore moins d’assumer la pression de la dot et des obligations sociales. Je n’ai même pas d’endroit stable pour vivre… Comment penser à l’amour quand on ne sait pas de quoi demain sera fait ? », Kossi, 31 ans, chercheur d’emploi. Alors nombreux sont ceux qui préfèrent se concentrer sur leur indépendance et leur épanouissement personnel plutôt que de se conformer à des modèles imposés. Le mariage devient alors un fardeau plutôt qu’un acte de désir. C’est ainsi que s’installe la gamophobie.
Enfin, l’évolution des modes de rencontre, notamment via les réseaux sociaux et les applications de dating, nourrit une culture de l’instantanéité et du choix illimité. « Pourquoi se fixer quand on a l’impression qu’il y a toujours mieux à portée de doigt ? » se demande Karla, 25 ans, une adepte des applis de rencontre. Le risque d’échec amoureux est devenu tellement omniprésent qu’il paralyse certains, qui préfèrent éviter tout engagement plutôt que d’affronter la douleur d’une relation qui échoue. « On veut tellement éviter les échecs qu’on ne tente même plus l’amour. » confie Alain, 28 ans.
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La gamophobie, une peur silencieuse mais répandue
Par ailleurs, la gamophobie prend des racines profondes dans les responsabilités précoces au sein des familles togolaises. Très tôt, les aînés sont chargés de responsabilités lourdes, comme la gestion du foyer, le soutien scolaire des cadets, et parfois même la pression économique pour subvenir aux besoins de la famille. Ce poids crée une fatigue émotionnelle et une aversion inconsciente envers l’idée d’assumer de nouvelles charges, comme celles liées à un couple ou au mariage. « J’ai toujours été l’aînée dans ma famille. Dès que mes parents ont divorcé, c’était à moi de m’occuper de mes frères et sœurs, de gérer les études, les repas, les factures. À un moment, j’ai même dû travailler pour subvenir aux besoins. Aujourd’hui, je me dis que j’ai déjà trop donné. Pourquoi devrais-je encore endosser un rôle aussi lourd avec un partenaire ? Je veux vivre pour moi maintenant », Marie, 28 ans, responsable d’un foyer depuis ses 18 ans.
L’instabilité économique est également un facteur majeur. Le chômage, la précarité financière et la difficulté à se loger rendent l’engagement beaucoup plus lourd à envisager. Pour beaucoup, le mariage symbolise non seulement une dette et des pressions financières (notamment la dot), mais aussi une source d’angoisse. « La dot, c’est une énorme pression. Je vois mes amis se marier, mais la plupart sont endettés à cause de la dot. Pour moi, l’idée de devoir réunir une somme colossale pour prouver que je « suis un homme capable » de prendre soin d’une femme, ça me fait fuir. Ce n’est pas que je n’ai pas d’amour à offrir, mais j’ai l’impression que tout est centré sur l’argent. Ça m’angoisse et me freine dans l’idée de m’engager. J’ai pas envie de commencer une relation sous la pression financière, de devoir tout sacrifier pour des formalités », Jean-Paul, 30 ans, salarié dans le secteur privé.
La montée de l’individualisme moderne est un autre facteur déterminant dans l’explosion de la gamophobie. De plus en plus de jeunes privilégient leur épanouissement personnel et leur autonomie avant tout, considérant que l’amour et le couple ne doivent pas nuire à leur liberté. « Je m’aime trop pour me perdre dans une relation » confie Evelyne, 24 ans, qui choisit de se concentrer sur sa carrière et son développement personnel plutôt que de se compromettre dans une relation.
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L’absence de modèles et la peur de la possession
L’absence de modèles de couples inspirants joue aussi un rôle clé dans l’adoption de la gamophobie. Entre mariages de façade, crises conjugales visibles ou violences domestiques, nombreux sont ceux qui ont du mal à envisager l’amour durable comme une réalité. « Je n’ai jamais vu un couple heureux durer. Pourquoi le mien serait différent ? » s’interroge Samuel, 29 ans, qui se sent perdu face à l’exemple de ses proches. L’idée de l’amour comme un acte de possession ou de sacrifice insurmontable freine aussi beaucoup. Pour éviter toute forme de contrôle ou de domination, certains préfèrent rester loin de l’engagement. « La jalousie, la possessivité, les sacrifices… ça me fait fuir. Je veux aimer sans être contrôlé, ni contrôler quelqu’un. Pourquoi s’enfermer dans un rôle quand on peut simplement être soi-même, libre ? » se défend Bertrand, 26 ans, qui redoute la perte de sa liberté.
« Je sais que beaucoup ont peur de s’engager. On a tous vu des histoires de couples brisés, des divorces, des trahisons. Mais la vie, c’est aussi prendre des risques. Si tu as peur d’aimer, tu ne vivras jamais pleinement. Oui, l’amour demande du courage, oui, il y a des épreuves, mais il n’y a rien de plus beau que de se donner à quelqu’un, de bâtir ensemble quelque chose de solide. Ne laisse pas la peur du futur gâcher ton présent. Ose aimer, ose t’engager. Parfois, c’est dans les moments les plus incertains que tu trouveras la plus grande richesse. », a exhorté pour sa part Monsieur Kokou, père de famille.
Tony A.