Alors que le Soudan s’enfonce dans une guerre civile destructrice, des centaines de ses ressortissants en quête d’asile ou d’une vie meilleure sont refoulés de Libye, un autre pays miné par l’instabilité. En quelques jours, environ 700 migrants soudanais ont été expulsés vers leur pays en guerre, dans le cadre d’une vaste campagne contre l’immigration clandestine menée par les autorités de l’Est libyen.
Cette opération de refoulement, annoncée ce samedi par la Direction de la lutte contre la migration illégale dans l’est de la Libye, suscite des interrogations sur le respect des droits humains et la prise en compte du contexte humanitaire. Les expulsés, arrêtés dans les régions du centre et du sud-est du pays, ont été reconduits par voie terrestre vers le Soudan, malgré la situation dramatique qui prévaut dans leur pays. Parmi eux, des malades, des condamnés, mais aussi des civils sans antécédents, que l’on renvoie dans un territoire où règnent le chaos et la peur.
Une politique de fermeté contre les expulsés sans égard pour la protection humanitaire
Les autorités libyennes justifient ces renvois massifs par la volonté de lutter contre le trafic d’êtres humains, un phénomène bien réel en Libye, devenue depuis des années un carrefour migratoire incontrôlable. Dans l’est du pays, contrôlé par les forces du maréchal Khalifa Haftar, la campagne se veut déterminée : centres de trafic démantelés, arrestations massives, interceptions en mer. Le récent raid à Ajdabiya, ayant permis la libération de plus de 100 migrants détenus dans des conditions inhumaines, illustre la volonté d’afficher des résultats.
Mais derrière cette opération sécuritaire se cachent des pratiques contre les expulsés qui frisent la violation du droit international. Renvoyer de force des individus vers un pays en guerre, sans évaluation de leurs besoins de protection, contrevient aux principes fondamentaux de la Convention de Genève. Aucun mécanisme d’asile ni d’évaluation individuelle ne semble avoir été mis en place avant les expulsions.
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Entre marchandisation de l’humain et enjeux géopolitiques
La Libye, fragmentée et affaiblie, est devenue un théâtre où les migrants sont souvent traités comme une monnaie d’échange. Les expulsions massives participent parfois à des accords tacites entre milices, autorités locales et trafiquants, où la vie humaine pèse peu face aux intérêts de contrôle territorial ou de pression diplomatique. Pour les Soudanais expulsés, fuyant la guerre entre l’armée régulière et les Forces de soutien rapide, ces renvois brutaux constituent une double peine.
En toile de fond, l’Europe, bien que distante, demeure concernée : les routes migratoires vers ses côtes passent souvent par la Libye. L’intensification de la répression migratoire dans l’Est pourrait être interprétée comme un geste envers certains partenaires occidentaux soucieux de freiner les flux. Mais à quel prix humain ?
Avec ces migrants expulsés vers le chaos soudanais, la Libye nie à ces hommes, femmes et enfants le droit fondamental à la protection. Plus qu’un simple fait divers migratoire, cette affaire révèle la cruauté d’un système où l’exil devient un piège et où la détresse humaine est instrumentalisée à des fins politiques ou militaires. Sans une réponse coordonnée et humaine des acteurs régionaux et internationaux, les routes de l’exode ne mèneront bientôt plus qu’à l’enfer.
Tony A.

