Dans le paysage politique tumultueux de l’Afrique de l’Ouest, une tendance troublante, celle des coups d’États commence par se faire de plus en plus récurrente. Une prise de pouvoir par les militaires remettant en question la stabilité des régimes gouvernants démocratiquement élus dans la région. L’analogie à la mousson subsaharienne est saisissante : tout comme les précipitations abondantes caractérisent cette saison météorologique, les récents coups d’État ont semblé se multiplier, menaçant de submerger la stabilité politique déjà fragile de l’Afrique de l’Ouest.
Le plus récent, est celui opéré il a quelques semaines au Niger par les putschistes du CNSP. Un coup de force qui survient après celui opéré en Guinée par le Col Mamadou Doumbouya, le Mali avec le Col Assimi Goïta à deux reprises et le Burkina Faso avec le capitaine Ibrahim Traoré renversant un autre militaire, le Colonel Paul Henri Damiba. Alors que la région est confrontée à un certain nombre de facteurs socio-économiques et politiques, cette montée en flèche des coups d’État soulève des inquiétudes quant à la possibilité d’une période prolongée d’instabilité politique et de gouvernance contestée. D’autres renversement de pouvoir sont-ils en gestation ? D’autres régimes tomberont ils dans les prochains jours dans les mains d’autres militaires ? S’agit-il d’un plan de déstabilisation savamment orchestré ? Que cache cette période intrigante aussi bien pour le continent que ses fils et filles ? Quel se profile à l’horizon ?
Des coups d’États aux allures de printemps arabe
Avec l’évolution de la situation en Afrique de l’ouest ces derniers mois, il est très facile de penser, qu’un prochain coup d’État n’est pas loin. Et qu’il s’agisse d’un effet de domino, tant les préoccupations des populations sont similaires dans les États de la sous-région. Aussi avec la contagion de ces coups d’État, il est plus facile aux militaires de s’estimer en droit de renverser tout régime qui ne leur sied pas. En d’autres termes, on assiste à une sorte de printemps arabe porté cette fois ci par des hommes en treillis plutôt que des civils.
La récurrence des coups d’État en Afrique de l’Ouest et le mouvement du Printemps arabe partagent certaines similitudes. Tant en Afrique de l’Ouest que dans le contexte du Printemps arabe, l’aspiration à une gouvernance démocratique, à la transparence et à la participation populaire étaient des éléments centraux des mouvements. Les deux régions ont vu une participation active de la jeunesse, utilisant la rue, les médias sociaux et les technologies pour mobiliser et coordonner leurs actions.
A cela s’ajoute des problèmes socio-économiques tels que le chômage élevé, les inégalités et la pauvreté ont été des facteurs de mécontentement dans les deux régions. Cependant il faut admettre que le Printemps arabe a conduit à des renversements de régime dans plusieurs pays. Ce qui n’est pas encore le cas avec la récurrence des coups d’État en Afrique de l’Ouest qui n’a pas nécessairement abouti à des changements aussi radicaux. Ces renversements de pouvoir ont entraîné un maintien des pouvoirs militaires, sans porte de sortie réelles vers un retour constitutionnel bien défini.
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Un grand basculement à venir
Pour Achille Mbembe, chercheur camerounais et professeur d’histoire et de science politique à l’université du Witwatersrand à Johannesburg, les coups d’État qui se succèdent en Afrique de l’Ouest sont un signe annonciateur à prendre en compte sérieusement. « Le cycle historique, qui avait été ouvert au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, qui avait conduit à une décolonisation incomplète, ce cycle historique est terminé. L’Afrique est en train de rentrer dans une autre période de son histoire, une période qui sera longue et qui entraînera d’énormes bouleversements. Qu’est-ce qu’il en sortira ? Il est très difficile pour le moment de le savoir », a-t-il laissé entendre.
Aussi grande méfiance doit être portée à l’élan souverainiste, et à l’idéologie de panafricanisme, sur lequel se base les putschistes pour agir. Car il s’agit en réalité de « néosouverainisme » et non de panafricanisme. « Le néosouverainisme est une vision appauvrie de ce qu’a été le panafricanisme historique, qui était à la fois une pensée de la liberté et de la démocratie et une pensée de la justice universelle et de la solidarité internationale. Or le néosouverainisme aujourd’hui se caractérise, en particulier, non pas par un désir d’histoire – c’est-à-dire de maîtrise de soi et de responsabilité devant soi-même et le monde -, il se caractérise plutôt par un désir de substitution d’un maître par un autre. Et dans ce sens, il s’agit davantage d’un fantasme que d’une idéologie propice à la libération du continent », a expliqué le chercheur camerounais.
« Le temps est compté. Et toutes sortes d’accélérations sont à prévoir parce que l’Afrique est rentrée dans un autre cycle historique. Seuls ceux qui l’ont compris auront une chance de peser sur son avenir », interpelle-t-il.
Tony A.