samedi, novembre 23 2024

En juin 2023, le groupe de mercenaires russes Wagner, mené par Evgueni Prigojine, défie ouvertement Moscou. Prigojine accuse le Kremlin de sacrifier ses hommes sur le front ukrainien. Deux mois plus tard, il trouve la mort dans un mystérieux accident d’avion. Si la tête du serpent a été coupée, le corps, lui, continue de se mouvoir.

De l’Ukraine à la Syrie, en passant par la République centrafricaine et le Mali, là où le chaos règne, les mercenaires russes ne sont jamais bien loin. Cependant, ils ne sont pas les seuls à s’aventurer dans ces zones de turbulences. Ces dernières années, la présence de combattants étrangers dans les zones de conflit a pris une ampleur telle que l’ONU s’en inquiète, alertant sur la violence et l’impunité croissantes des armées privées.

Mais pourquoi assiste-t-on à ce retour des mercenaires, et comment redessinent-ils les contours des guerres modernes? De Blackwater en Irak à Wagner en Afrique, en passant par les « chiens de guerre » de l’époque de la décolonisation, plongez dans l’univers opaque des sociétés militaires privées (SMP).

Un métier ancien, mais restructuré

Le mercenariat, à sa base, consiste pour un individu à combattre pour de l’argent dans un pays étranger, une pratique aussi vieille que la guerre elle-même. Si elle n’a jamais vraiment disparu, elle s’est considérablement restructurée au cours des trois dernières décennies. De nos jours, le terme « mercenaire » laisse place à celui de « contracteur », désignant des employés recrutés par des SMP pour accomplir diverses missions de sécurité.

L’image du « chien de guerre » sans foi ni loi est désormais reléguée au passé, car ces entreprises cherchent à se montrer sous un jour plus respectable. Leurs missions incluent la protection de gouvernements, d’ONG, ou d’entreprises dans des zones à haut risque, la formation de soldats, et la sécurisation de sites stratégiques comme des mines ou des plateformes pétrolières.

Ce secteur, majoritairement anglo-saxon, est en pleine expansion. Des compagnies telles que G4S, GardaWorld, Triple Canopy ou encore Academi (anciennement Blackwater) se sont transformées en véritables multinationales. En 2020, le marché des SMP était évalué à 223,8 milliards de dollars, avec des prévisions atteignant 457,3 milliards de dollars d’ici 2030.

Législation et controverses

Bien que le mercenariat soit interdit par une convention de l’ONU depuis 1989, la définition extrêmement stricte de cette interdiction rend la loi inapplicable. Cette interdiction visait à freiner la montée en puissance des mercenaires après la Seconde Guerre mondiale, notamment en Afrique, où ils étaient surnommés « chiens de guerre » pour leur participation aux conflits de décolonisation.

L’un des plus célèbres de ces mercenaires est Bob Denard, un ancien soldat français qui s’est illustré dans de nombreux coups d’État en Afrique jusqu’aux années 1990. Face aux critiques, particulièrement de la part des États africains revendiquant leur droit à l’autodétermination, le mercenariat traditionnel a laissé place aux sociétés militaires privées, mieux organisées et plus respectables en apparence.

L’ascension des sociétés militaires privées

La fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin en 1989 ont marqué le début de nouvelles tensions internationales, notamment dans les Balkans, au Liberia et au Rwanda. Ces conflits, combinés à une réduction drastique des budgets militaires nationaux, ont favorisé l’émergence des SMP. C’est dans ce contexte que la première société militaire privée, Executive Outcomes, a vu le jour en Afrique du Sud.

Fondée par d’anciens soldats du régime de l’apartheid, cette entreprise s’est rapidement imposée sur le continent africain, intervenant dans près de 30 pays et jouant un rôle clé dans la fin de la rébellion en Sierra Leone, contre une rémunération de 1,2 million de dollars par mois. À titre de comparaison, l’intervention des forces de l’ONU, coûteuse et inefficace, a représenté 47 millions de dollars pour des résultats bien en deçà des attentes.

Wagner : Une puissance financière et militaire

Après la mort de Prigojine, le groupe Wagner se réorganise sous le nom de « Africa Corps », un nom qui évoque les troupes allemandes de la Seconde Guerre mondiale déployées en Afrique du Nord. Le modèle économique du groupe est simple : il offre ses services à des gouvernements et armées en difficulté en échange de l’accès à des ressources naturelles précieuses, telles que des mines de diamants ou des champs pétrolifères.

En République centrafricaine, les mercenaires ont notamment pris le contrôle d’une importante mine d’or. Leurs activités en Syrie, où ils ont combattu aux côtés des forces gouvernementales, leur ont permis de s’approprier des puits de pétrole, renforçant ainsi leur empire financier. Cependant, Wagner se distingue par sa brutalité, comme en témoigne le massacre de Moura au Mali en 2022, où plus de 500 civils ont été tués dans une opération antiterroriste, accompagnée de viols et de pillages.

L’avenir des SMP dans un monde en crise

Le marché des SMP a explosé avec la guerre en Irak en 2003, où le recours à ces entreprises a atteint des proportions inédites. À son apogée, les États-Unis ont employé environ 630 sociétés militaires privées au Moyen-Orient, avec des chiffres impressionnants en Irak et en Afghanistan. Cependant, les dérives, comme le massacre de 17 civils à Bagdad en 2007 par Blackwater, ont terni l’image de ces entreprises, forçant Washington à revoir sa stratégie.

Malgré cela, le marché des SMP ne montre aucun signe de ralentissement, surtout avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Ce secteur continue de se développer, avec des entreprises comme Constellis, DynCorp, et Aegis Defence Services qui sécurisent des bases militaires et des installations stratégiques dans les zones de conflit.

La privatisation de la guerre : Un défi pour les États

Le recours croissant aux SMP soulève des questions essentielles sur la transparence, la sécurité, et le rôle de l’État. Ces entreprises, souvent opaques, échappent en grande partie au contrôle des autorités nationales. De plus, la privatisation de la violence légitime, fonction régalienne par excellence, met en péril la souveraineté des États qui risquent de perdre le contrôle de leur propre sécurité.

Pourtant, dans un monde de plus en plus instable, ces sociétés répondent à des besoins réels et pressants. Pour certains gouvernements affaiblis, elles représentent parfois la seule option viable pour maintenir l’ordre et protéger les populations, comme en témoignent les situations au Mali, en Syrie, en Libye ou encore en République démocratique du Congo. Ainsi, à l’ère post-coloniale, le mercenariat moderne s’impose comme une réalité incontournable, redessinant les contours des conflits contemporains.

La dangereuse ascension des mercenaires | ATLAS (youtube.com)

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